Plan general : famous jews

ANNE FRANK

ANNE
MEMOIRE
FONDATION
CENTRE USA
HISTOIRE
SHOAH
MUSEE
FORUM
MEMORIAL
Peter Schiff

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Journal d’outre- tombe
Pendant plus de soixante ans, le cahier intime de Rutka, l’Anne Frank polonaise, est resté secret. A l’occasion de sa parution en France, «Libération» a mené l’enquête sur les derniers jours de l’adolescente.
NAThALIE DUBOIS et MAJA ZOLTOWSKA (à Varsovie)

«Trois ans déjà que nous vivons cet enfer

[…]. Le cercle se resserre de plus en plus autour de nous.» L’adolescente polonaise, qui prend la plume en janvier 1943, pressent clairement qu’elle vit ses derniers mois. Rutka Laskier serait restée une victime anonyme de la Shoah si son journal intime - publié aujourd’hui en français (1) - n’avait été exhumé du meuble où il dormait depuis plus de soixante ans, à Bedzin, en Silésie. La gardienne de ce petit cahier d’écolière est une catholique polonaise, Stanislawa Sapinska, aujourd’hui âgée de 90 ans.

Lorsqu’en septembre 1939 les nazis envahissent Bedzin, cette ville ouvrière du bassin minier compte plus de 25 000 Juifs. Un habitant sur deux. Les Allemands les parquent en ghettos. Chassée du centre-ville, la famille Laskier doit s’installer rue Warpienna. Rutka, ses parents, deux de ses grands-parents et son petit frère Joachim s’entassent, avec d’autres Juifs, dans la maison des Sapinski, forcés de déménager.

«Sans la guerre, nos destins ne se seraient pas croisés. Rutka avait alors 14 ans, moi j’en avais 25. Mais elle était très mature, mentalement et physiquement. Rutka était exceptionnellement intelligente pour son âge, et parfaitement consciente de ce qui allait se passer», nous a raconté Stanislawa, jointe au téléphone. A l’époque, elle travaille non loin du ghetto. Son père lui a demandé de passer de temps en temps voir ce que devient leur maison. Les deux jeunes filles se lient d’amitié. Brefs et intenses apartés. «On se faisait confiance. Rutka n’avait pas de grande sœur à qui se confier. Elle me disait tout ce qui lui pesait sur le cœur, tout ce qu’elle ne voulait pas dire à ses parents qu’elle voulait ménager. Elle les aimait beaucoup.»

«Si Dieu existait…»

C’est ainsi que Rutka révèle à son amie goy l’existence de ce journal intime, dont elle souhaite qu’il lui survive. Au fil des terrifiants processus de sélection entre aptes et inaptes au travail, des déportations en camp, elle sait «toutes ces foules promises à la mort». Auschwitz n’est qu’à 40 km de Bedzin. Depuis octobre 1941, fonctionnent les chambres à gaz de Birkenau, le camp d’extermination adjacent. Rutka n’en ignore rien : «La parcelle de foi que j’avais jadis s’est complètement brisée. Si Dieu existait, il ne permettrait pas qu’on jette les gens vivants dans des fours […]. Ou qu’on mette les petits enfants dans des sacs pour les gazer», écrit-elle le 5 février 1943. Où pourrait-elle cacher, le jour venu, son cher petit cahier vert ? C’est Stanislawa Sapinska qui lui indique une cachette dans la maison : le double plancher d’une marche de l’escalier.

En août 1943, les nazis liquident le dernier ghetto de Bedzin. Avec les Laskier, les derniers Juifs de la ville partent vers Auschwitz. De retour avec ses parents dans la maison vide et ravagée, Stanislawa a bien retrouvé, sous la marche, les soixante pages manuscrites de son amie. Mais personne n’en saura rien jusqu’à la fin 2005. Pendant plus de six décennies, ce témoignage, bien rangé dans sa bibliothèque, reste «un cri retenu ou bloqué dans la gorge de l’Histoire», comme le dit l’écrivain Marek Halter, dans la postface de l’édition française. Pour Stanislawa, ce cahier est juste «un souvenir très précieux de la guerre et d’une amie très chère».

Le Journal de Rutka vient à la connaissance du monde «par hasard» : «Un jour, raconte sa dépositaire polonaise, mon neveu est venu à la maison et nous avons eu une conversation très animée sur l’Holocauste. Pour lui prouver que je savais des choses que d’autres ne savent pas, j’ai sorti le cahier et lui en ai lu des passages.» C’est ce neveu Marek qui convainc la vieille dame qu’elle «n’a pas le droit de garder pour [elle] ce document historique». Peut-être espère-t-il également que sa «tatie» devienne célèbre…

Le cahier est transmis à Adam Szydlowski, un fonctionnaire de la mairie de Bedzin, qui préside le centre culturel juif de la région de Katowice. C’est lui qui va découvrir que toute la famille Laskier n’a pas péri dans les camps. Yaacov, le père de Rutka, s’en est sorti. Sioniste de la première heure, ce banquier a émigré après-guerre en Israël. Seul survivant de ses huit frères et sœurs, ayant perdu femme et enfants, il réapprend à vivre. En 1947, il se remarie et devient père d’une petite fille, Zahava, deux ans plus tard. Il mourra à 86 ans, en 1986, sans connaître l’existence des émouvants écrits de Rutka.

Le journal de ses quatre derniers mois au ghetto se trouve désormais au musée de la Shoah en Israël. En juin 2007, Stanislawa Sapinska s’est elle-même rendue à Jérusalem pour en faire don au mémorial de Yad Vashem, qui l’a traduit en hébreu et en anglais. La sortie de ce «journal de l’Anne Frank polonaise», comme l’a surnommé la presse israélienne, a eu un grand écho un peu partout dans le monde… Sauf en Pologne. Où l’édition originale en polonais eut une sortie confidentielle, début 2006. Il faut dire que le livre n’a été tiré qu’à 6 000 exemplaires, financés par la mairie de Bedzin et le quotidien Dziennik Zachodni.

Néant de l’oubli

«Indifférence ? Haine ? Honte ?» s’interroge Marek Halter, qui, dans sa postface, émet le vœu qu’on lise le Journal de Rutka dans toutes les écoles de Pologne, pour que les Polonais se réapproprient «la part juive de leur propre mémoire». L’amnésie recule pourtant. Robert Szuchta, professeur d’histoire à Varsovie et coauteur d’un ensemble de programmes pédagogiques sur la Shoah, en témoigne : «Un progrès a été accompli», regrettant qu’il soit le fruit «des pressions de la communauté internationale et pas d’un besoin intérieur. Alors que c’est la Pologne qui devrait être le leader car l’Holocauste s’est produit sur son territoire.»

«Pendant toute l'époque communiste, explique le Pr Szuchta, l’Holocauste n’a été enseigné dans aucune école de ce pays. Et les Juifs étaient même rayés de notre histoire. Le régime propageait l’image d’une population ethniquement homogène. Aujourd’hui, l’enseignement de l’Holocauste est inscrit au programme scolaire. Un manuel sur ce thème est paru en 2003, mais il y a toute une variété de supports. On travaille beaucoup avec la Maison d’Anne-Frank, son Journal, des films, etc.» Autre motif de satisfaction de ce professeur : «La Pologne est le pays au monde qui envoie le plus d’enseignants pour des stages à Yad Vashem. Au moins une centaine par an se rendent en Israël.» Et cela répond à une demande : «A l’école, à la maison, les jeunes veulent parler de cela. Ils ont accès aux livres, à Internet, aux journaux. Ils veulent discuter.»

A Bedzin, Stanislawa en a fait l’expérience : «Les jeunes sont demandeurs de témoignages directs. Le passé s’efface, les témoins s’en vont, ceux qui n’ont pas connu la guerre ne peuvent pas imaginer ce qui s’est passé, même une petite part de ce drame.» Rutka depuis 2006 est ainsi devenue une héroïne locale, à défaut d’être nationale. La ville de Bedzin a inauguré un «circuit de Rutka» qui permet aux jeunes de la région de visiter les lieux de sa vie, y compris l’endroit où furent fusillés les communistes juifs du groupe auquel elle appartenait.

Adam Szydlowski, le directeur du centre culturel juif de la région, souligne que «dès l’âge de 11 ans, en quatrième année de primaire, les enfants de Bedzin commencent à apprendre ce que ce fut l’Holocauste. Quant au Journal de Rutka, les enseignants sont libres de décider à quel moment ils le font lire.» Szydlowski espère que ce livre sera bientôt sur la liste des ouvrages recommandés par le ministère de l’Education, au côté d’autres écrits des ghettos de Pologne ou de survivants des camps. «Le Journal de Rutka, estime-t-il, est un outil exceptionnel, il est universel, il raconte aussi bien la Shoah que l’adolescence d’une jeune fille découvrant son corps, ses seins. Elle relate l’horreur de scènes vécues comme la mort de ce bébé arraché à sa mère et fracassé par un soldat contre un lampadaire. Mais elle raconte aussi ses émotions, ses premiers amours, ses rêves d’un baiser. Tous les jeunes peuvent s’y retrouver.»

Comme Anne Frank, recluse dans sa cache d’Amsterdam, Rutka se demande, en ce printemps 43, si «s’embrasser est vraiment une chose tellement agréable» et «quel goût» cela peut bien avoir… Du néant de l’oubli surgit la figure formidablement vivante d’une adolescente traversée par les épuisantes humeurs de son âge. Un jour, elle se réveille «dans un état étrange, comme envahie par tout le bonheur d’un lointain infini […]. Je ne suis plus dans l’expectative de ce bonheur - il est en moi. Une joie si «exubérante» qu’elle «pourrait rire toute la journée». Suivent des nuits où elle pleure de désespoir : «Que pleures-tu ou qui pleures-tu ? Tu pleures la liberté. Ces maisons ternes, cette peur qui marque chaque visage te dégoûtent. La peur colle ses tentacules à chacun de nous pour ne plus le lâcher.» Piégée dans le ghetto qui rétrécit de mois en mois, elle rêve : «Je voudrais attacher des ailes à mes épaules pour m’élever très haut, entendre le hurlement fou de l’ouragan, sentir son souffle sur mon visage. M’envoler vers un endroit où il n’aurait plus ni ghetto, ni shop (2), ni juiverie…»

«Epidémie de choléra»

Zahava, la demi-sœur de Rutka née en Israël, n’a elle-même découvert qu’à 14 ans l’existence de «cette jeune fille belle, intelligente et talentueuse». Tombant sur un album photo rouge, caché derrière une pile de draps, elle ira demander à son père : «Qui était cette petite fille qui me ressemblait tant ?» Et ce petit frère qu’elle tient tendrement. Yaacov lui parle alors pour la première fois des deux enfants qu’il a eus en Pologne. Pour lui, sa femme Dorka, le petit Joachim (6 ans) et Rutka ont été gazés dès leur arrivée à Auschwitz, en août 1943. Mais l’histoire du drame juif, qui s’écrit encore au jour le jour en Pologne, montre, hélas, qu’il n’en est rien : comme nous l’a révélé le Pr Robert Szuchta :«On a récemment retrouvé à l’Institut historique juif (ZIH) de Varsovie un récit», encore plus tragique de ses derniers moments. C’est Zofia Minc, une codétenue arrivée à Auschwitz, le 16 décembre 1943, qui rédige ces lignes, en 1946, dans un orphelinat pour enfants juifs : «Dans notre block, je dormais à côté de mon amie, Rutka Laskier, de Bedzin. Elle était tellement belle, que même le Dr Mengele l’avait remarquée. Une épidémie de typhus et de choléra a alors éclaté. Rutka a attrapé le choléra. En quelques heures, elle est devenue méconnaissable. Elle n’était plus qu’une ombre pitoyable. Je l’ai moi-même transportée dans une brouette au crématoire. Elle me suppliait de l’amener jusqu’aux barbelés pour se jeter dessus et mourir électrocutée, mais un SS marchait derrière moi avec un fusil et il ne m’a pas laissé faire.»

(1) Le Journal de Rutka, janvier-avril 1943, suivi des Juifs et la Pologne, par Marek Halter. Editions Robert Laffont, mars 2008, 120 pp., 12 €. (2) Nom des ateliers allemands où les Juifs étaient forcés de travailler à partir de 14 ans.




livreor.gif

Messages les plus consultés