ZEEV STERNHEEL
ENTRETIEN
FASCISME
CRITIQUE
DEMOCRATIE
P. MILZA
ISRAELI
AKADEM
1935
Professeur d'histoire des idées. Il occupe la chaire Léon-Blum de science politique à l'université hébraïque de Jérusalem. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont La Droite révolutionnaire, 1885-1914. Les origines françaises du fascisme (1978, rééd. Fayard, 2000) ; Aux origines d'Israël. Entre nationalisme et socialisme (1996, rééd. Gallimard, coll. « Points », 2001).
"Je conçois le fascisme comme la forme extrême d'un phénomène idéologique et culturel qui se manifeste par la révolte contre l'héritage de la Révolution française, contre le matérialisme (1) et le rationalisme (2), contre les principes du libéralisme et contre la conception utilitariste de la société et de l'Etat. En outre, il faut bien préciser que c'est en France que se trouvent les véritables origines idéologiques du fascisme. Il est le fruit d'une rencontre entre le nationalisme intransigeant et la révision anti-matérialiste du marxisme (3) qui se produit au cours des années 1885-1914. Le fascisme consiste en une idéologie de rupture qui se dresse contre le libéralisme et le marxisme, une troisième voie qui entend jeter les bases d'une nouvelle civilisation anti-individualiste, seule capable d'assurer la pérennité d'une collectivité humaine où seraient parfaitement intégrées toutes les couches et toutes les classes de la société."
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1 commentaire:
Quand David Ben Gourion proclame la création de l'Etat d'Israël, le 14 mai 1948, de quel pays rêve-t-il?
Attention à l'idéalisation du passé. Ben Gourion et les dirigeants du Parti travailliste qui avaient pris le pouvoir au sein du mouvement sioniste dans les années 1930 n'étaient pas de doux rêveurs. Ils ne pensaient pas qu'ils allaient créer le paradis sur terre et que les Arabes se pousseraient pour que nous nous y installions. Contrairement à ceux qui s'aveuglaient en qualifiant les révoltes arabes de 1920 et de 1936-1939 de «pogroms» antijuifs, Ben Gourion avait très bien compris la signification de ces soulèvements. Il savait que ce pays, il faudrait le conquérir par la force. C'est d'ailleurs pour cela qu'il a bâti la Haganah sur le modèle d'une véritable armée, avec les unités les plus larges possible, entraînées pour faire la guerre et non pour mener une simple guérilla comme l'ont fait les Arabes. Pour lui, l'essentiel était de donner aux juifs un Etat - une armature politique sans laquelle, à ses yeux, l'existence juive serait non seulement incomplète, mais aussi constamment menacée.
Est-ce la raison pour laquelle il accepte, à l'inverse des Palestiniens, le plan de partage de la Palestine voté par les Nations unies le 29 novembre 1947?
Cet Etat [NDLR: qui couvre 56% du territoire de la Palestine mandataire], c'était beaucoup mieux que rien. La population a d'ailleurs dansé toute la nuit dans les rues de Tel-Aviv. Mais le plan des Nations unies ne satisfaisait pas les pères fondateurs, qui ne l'ont accepté que pour des raisons tactiques. Ils voulaient aller plus loin et, de fait, ils sont allés plus loin. Soyons clairs: il n'y a pas eu d'ordre d'expulsion des Palestiniens. Si cela avait été le cas, il aurait été appliqué intégralement et l'Etat d'Israël se serait retrouvé sans le moindre Palestinien sur son territoire. Il était évident, toutefois, que moins d'Arabes il y aurait, mieux cela vaudrait. En 1949 [NDLR: à l'issue de la première guerre israélo-arabe, qui permet à Israël de mettre la main sur 78% de la Palestine mandataire], nous aurions pu aller encore plus loin. Mais Ben Gourion ne l'a pas voulu. Il s'est limité à ce qui était nécessaire et légitime. Comme les chasseurs qui traquent ce dont ils ont besoin pour manger mais ne tuent pas de gibier pour rien.
Soixante ans plus tard, la région est toujours en guerre et Israël n'a toujours pas tracé ses frontières...
Israël ne s'est pas préparé à la guerre des Six-Jours. La victoire, en 1967, est tombée du ciel. En face, les Arabes refusaient toute négociation, alors on ne s'est pas cassé la tête. On a fait ce qu'on savait faire, à savoir développer le pays. Les partisans purs et durs de la colonisation, tout comme ses adversaires acharnés, étaient une minorité. La masse s'est laissé faire. Et c'est ainsi que l'occupation s'est mise en place. Le drame, c'est que quarante ans plus tard nous n'avons toujours pas d'objectifs géostratégiques définis. Nous sommes un pays sans frontières et cela cause notre malheur. Jamais Ben Gourion n'aurait imaginé une telle situation.
Quelle part l'idéologie socialiste avait-elle dans le projet des fondateurs?
Là encore, il faut relativiser. Au sommet de sa puissance, le système des kibboutz n'employait que de 6 à 8% de la population. Les autres habitants menaient une vie normale au sein d'une société bourgeoise, construite sur le modèle libéral. Un exemple: au début des années 1930, les dirigeants du Yichouv [NDLR: l'administration juive pré-étatique] ont débattu de la possibilité d'imposer les revenus. Le Mapaï, le parti de Ben Gourion, était contre. Avez-vous déjà vu un parti socialiste opposé à l'impôt sur le revenu? La raison est simple. Peu avant, le gouvernement polonais avait mis en place un impôt de ce type. Et Berl Katznelson, l'idéologue du Parti travailliste, craignait qu'une telle mesure ne dissuade les juifs polonais de venir s'installer en Palestine, puisqu'ils quittaient leur pays, entre autres raisons, à cause de cet impôt. Attirer les juifs était plus important que de veiller à leur bien-être, une fois qu'ils étaient sur place. Il a fallu attendre l'arrivée au pouvoir de la droite, en 1977, pour que l'éducation secondaire devienne gratuite. Au début des années 1950, le coût des études en classe terminale représentait l'équivalent de 30% du salaire moyen. Le culte du travail manuel et les urgences liées à la construction de l'Etat étaient tels que seuls les enfants de la bourgeoisie poursuivaient leur scolarité jusqu'au bout.
Pour autant, Ben Gourion n'aurait-il pas été surpris face à la société profondément inégalitaire qu'est devenu Israël?
Si, bien sûr. La création d'Israël en 1948 coïncide avec la révolution sociale en Grande-Bretagne et les grands programmes de réformes en France et en Italie. On avait le sentiment d'une évolution inexorable vers une société plus juste et plus libre. Certes, la justice sociale était une notion importante pour Ben Gourion, mais son objectif principal restait l'Etat. Il a fallu attendre les années 1970 pour qu'une amorce d'Etat providence se mette en place. Mais si Ben Gourion vivait aujourd'hui, il serait choqué. Israël, dans son souci de normalisation, est devenu l'une des sociétés les plus inégalitaires du monde occidental.
Les pères fondateurs étaient plutôt laïques. Envisageaient-ils l'importance que prendrait le monde orthodoxe?
C'est une erreur de penser que le Yichouv était une communauté laïque. Le judaïsme a toujours été partie intégrante du nationalisme juif. Dès les débuts de Tel-Aviv, les transports en commun s'arrêtaient pendant le shabbat, élément fondamental de notre identité. Evidemment, en 1948, les orthodoxes formaient une petite minorité. Avec leur natalité très forte, ils sont devenus aujourd'hui une puissance. Mais Ben Gourion n'est pas étranger à cette évolution. Il a lui-même libéré les jeunes orthodoxes du service militaire et a placé entre les mains des religieux tout ce qui touche à la législation des personnes, comme les mariages et les naissances. D'ailleurs, les religieux ont toujours été ses alliés; ils étaient beaucoup plus accommodants, à son goût, que les partisans de la gauche marxiste ou marxisante.
Faut-il aujourd'hui doter l'Etat d'Israël d'une Constitution?
On en parle beaucoup actuellement, mais je crois que c'est une erreur. Dans une société aussi morcelée qu'Israël, il est très risqué de vouloir codifier des valeurs. Le modus vivendi actuel, garanti par les lois constitutionnelles et la Haute Cour de justice, arrange tout le monde. Israël n'est pas un Etat laïque, mais celui qui veut sortir le vendredi soir peut le faire, même à Jérusalem. Si l'on veut se marier autrement que chez un rabbin, on peut le faire aussi. Les soupapes de sécurité fonctionnent. Pourquoi chercher des problèmes là ou il n'y en a pas?
Soixante ans après la création d'Israël, le sionisme a-t-il encore une raison d'être?
Moi, je me définis encore et toujours comme ardemment sioniste. Cela fait partie intégrante de mon identité. Le sionisme, c'est la volonté de préserver, après l'avoir construit, un Etat aussi laïque que possible, qui appartienne aux juifs et à tous ses citoyens. Je n'accepte pas cette idée d'Etat binational dont on entend beaucoup parler ces temps-ci. Je préférerais vivre à Paris ou à New York, où je serais très bien. En même temps, un Etat où les non-juifs ne seraient pas des citoyens égaux, un Etat colonial, cela m'est également insupportable. La seule solution, je le dis depuis trente ans, c'est le partage de la terre, c'est-à-dire le retour sur la ligne verte [NDLR: la ligne de cessez-le-feu de 1949], avec quelques accommodements et le renoncement, de la part des Palestiniens, au droit au retour. Tous les objectifs du sionisme sont atteignables au sein de ce territoire. Mais il faut faire vite. Si l'on perd encore quelques années, à l'allure où va la colonisation, il ne sera plus possible de tracer des frontières. En 2050, entre le Jourdain et la mer Méditerranée, il y aura 20 millions d'habitants. Si nous n'arrivons pas à créer d'ici là des conditions de coexistence, ce sera un désastre.
L'Express
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