FRITZ HABER
PRIX NOBEL 1918
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"Pour la synthèse de l'ammoniac à partir de ses éléments"
1868-1934
David Vandermeulen : « Haber a agi très fortement sur son temps, et l’Histoire Universelle lui doit énormément »
26 octobre 2005
Raconter la biographie d’un juif converti, Prix Nobel de physique controversé, qui a contribué à la mise au point du Zyklon B (le gaz utilisé à Auschwitz), voilà qui n’était pas un défi facile. C’est pourtant ce qu’a réussi David Vandermeulen avec « Fritz Haber » (Éditions Delcourt). Un saisissant portrait d’une Allemagne qui s’apprête à enfanter la bête immonde.
Il nous semble, vu le contexte de l’époque, qu’au cœur de la biographie d’Haber, il y a la volonté - maladive dans son cas - d’une assimilation à tout prix. C’est un sujet central dans la communauté juive de ce temps.
Vous pouvez juger la volonté d’assimilation de Haber maladive, mais il était loin d’être un cas isolé. On pourrait même dire à son sujet, qu’il était un cas assez représentatif. Il n’y avait donc rien de véritablement anormal ou d’excessif chez lui. Un nombre assez conséquent de juifs passait le cap de la conversion sans que cela ne soit pour autant mal vu ; l’assimilation était alors considérée dans une large part de la communauté de l’Europe de l’Ouest comme une sorte d’aboutissement, et non pas forcément comme une rupture. N’oublions pas qu’à cette époque, on assimilait autant la société moderne qu’on s’assimilait à elle. Il ne faut pas perdre de vue les énormes bouleversements que le capitalisme et la foi aveugle dans le progrès produisaient sur les populations, que celles-ci soient juives ou non-juives.
Ce qui est notable chez Haber, c’est qu’il n’a jamais vraiment assumé sa conversion. Il s’est converti en cachette, et les historiens sont d’accord pour dire qu’il ne l’a jamais avoué à ses amis les plus proches, que ce soit à Einstein ou à Willstätter . Haber était un nationaliste allemand exalté qui toute sa vie fut entouré d’amitiés juives, son époque exigeait de lui qu’il choisisse son camp, mais il n’a jamais réussi, et c’est ce qui le mina toute sa vie, il en mourra d’ailleurs.
Mais Haber, encore une fois, n’était pas un cas particulier. Walter Rathenau présentait les mêmes contradictions. Rathenau assumait sa judaïté tout en s’amusant à côtoyer la pire intelligentsia antisémite. Il eut des relations étroites et soutenues avec Wilhelm Schwaner, par exemple, l’un des plus terrifiants théoriciens nazis.
On pouvait être juif et antisémite au temps de Haber, comme Karl Marx ou Karl Kraus. C’est une chose qui aujourd’hui nous apparaît comme aberrante parce que notre époque, que nous ne percevons plus que par le prisme des médias, ne nous fournit plus les occasions de penser la complexité.
Mais pour en revenir à la question, il est néanmoins certain que la problématique de l’assimilation des années 1870-1930, telle que je la peins dans ma biographie de Haber, est devenue aujourd’hui totalement obsolète. Les démocraties auront au moins réussi ceci, c’est que l’antisémitisme politique n’a plus court. Tout le monde sait que la démocratie n’est pas la recette parfaite, elle n’a pas par exemple la faculté d’étouffer l’humeur antisémite. Mais même si celle-ci reste fortement présente par endroit, elle ne saurait mener à de nouvelles barbaries. En Belgique ou en France, l’assimilation n’est donc plus une question à l’ordre du jour, les Juifs n’ont plus besoin, comme à l’époque de Haber, de « bouée de sauvetage », ni de « ticket d’entrée ». Malgré cela, je ne fais pas une biographie de Heine, ni de Spinoza, où le temps qui nous sépare de ces deux grandes figures juives pourrait m’autoriser à prendre quelques libertés, sans que l’on m’en fasse le moindre reproche. L’histoire de Haber, elle, n’est pas si loin, certaines personnes qui l’ont côtoyé vivent encore. De même, les problèmes que j’évoque dans mon livre, s’ils ne sont plus vraiment d’actualité, n’en sont pas pour autant surannés. J’ose même croire que mon livre évoque des problématiques encore très actuelles.
Haber meurt juste avant que le nazisme n’entreprenne le meurtre de six millions de Juifs, à l’instant où les thèses de Theodor Herzl et de Chaïm Weizman finissent par triompher...
« Triompher » est peut-être un bien grand mot. Il est vrai que l’idéologie sioniste commençait à se répandre considérablement dans les années trente et que de plus en plus de Juifs y étaient sensibles, mais concrètement, l’immigration des Juifs d’Europe en terre d’Israël restait dérisoire. Les Alyahs successives n’avaient attiré que 200.000 Juifs, chaque fois par petites vagues. Tout n’a pas été crescendo comme on aimerait le penser : en 1930, les autorités britanniques mirent un frein à l’immigration et aux acquisitions de terres. Les Juifs d’Europe, quand ils fuyaient les pogromes ou les exactions nazies, choisissaient avant tout les États-Unis.
Dans le cas de Haber (qui est mort en janvier 1934), le sionisme et le nazisme se sont brutalement entrechoqués dans son esprit quand il décida de fuir l’Allemagne de 1933. Ce n’est que contraint à l’exil que Haber s’autorisa à dîner plusieurs fois chez les Weizmann. Weizmann qui n’a eu de cesse de proposer à Haber la direction de l’Université Hébraïque de Rehovot... Fritz Haber n’a rien connu des horreurs de la guerre, bien qu’il fut, en tant que directeur du Kaiser Wilhelm Institut de Berlin, en première ligne pour pressentir toute la folie scientifico-idéologique qui se mettait alors en place. Les médecins eugénistes et les théoriciens de l’hygiène raciale dispensaient à quelques pavillons de chez lui. Et pourtant, comme la très grande majorité de ses collègues, Haber n’a rien vu venir.
Où nous mène ce polyptique (cinq volumes sont prévus), une fois ce premier volet achevé ?
Le second volume sera conséquent puisqu’il fera 260 pages, il couvrira la période de la [première] guerre. Ce seront les années « glorieuses » de Haber. On y découvrira un Haber bien plus glaçant : après toutes ces années de frustration, à l’âge de 40 ans, le voilà qui accède à l’argent, au pouvoir et à la reconnaissance, et ce tandis que l’Europe s’embrase. En 1914, Haber ne sera plus un scientifique, il sera avant tout un militaire qui servira l’Allemagne grâce ses connaissances scientifiques. C’est aussi, étonnamment, à cette même époque qu’il se liera d’amitié avec Einstein. Bien sûr, en parallèle, les destinées de Rathenau et de Weizmann continueront à traverser la vie et la destinée de Haber. Le troisième volet s’intéressera à la chute progressive de Haber.
Votre personnage dit : "Je suis victime de l’esprit des temps" (c’est le titre du cycle). Il y a là comme un déterminisme, l’idée que l’individu ne peut pas agir sur le cours du temps...
Oui, je prête ces mots à Haber. Haber considérait que son propre désir de puissance était refréné par l’antisémitisme. Il s’est très longtemps senti diminué, enchaîné, comme si une loi funeste et immuable le tenait en respect, l’obligeant à laisser un genou à terre, sans que jamais il ne puisse faire face au destin de manière héroïque. Quand on y regarde bien, ce ne fut évidemment pas le cas, Haber a agi très fortement sur son temps, et l’Histoire Universelle lui doit énormément. Son invention majeure, la production de l’ammoniaque à grande échelle, a sauvé des milliers de vies de la famine (l’ammoniaque est un riche fertilisant), mais cette même invention a également permis à l’Allemagne de se lancer dans la guerre, en 1914 (car de l’ammoniaque on tirait le dérivé chimique qui servait à la production des obus).
Ce qui est certain, c’est que Haber, et beaucoup de juifs de sa condition, avaient le sentiment légitime d’être des parias. En Allemagne, les postes à responsabilité ou les directoires leurs étaient très souvent refusés. La formule « Abandonnez toute espérance », qui nous est restée célèbre parce que Max Weber l’a surligné dans l’une de ces célèbres conférences, était véritablement proverbiale : si l’on était juif, mieux valait ne pas être carriériste. Haber a cru que sa conversion allait tout arranger, ce ne fut bien évidemment pas le cas, il dû produire des efforts ahurissants pour s’extirper de cet esprit dans lequel il était englué.
Beaucoup de jeunes gens pensent encore que l’antisémitisme est né en Allemagne au début des années trente, c’est bien évidemment faux, le problème a toujours existé. Chaque siècle a eu son lot de lois, tacites ou non, qui agissait contre les Juifs. Au début du XXe siècle, en Allemagne, pour être accepté et considéré, il était demandé aux Juifs d’exceller plus que ne saurait me faire le meilleur des Allemands. Il est certain qu’une telle discrimination aura produit des effets contraires aux désirs des antisémites. Sur les nombreux Prix Nobel que l’Allemagne récolta, près de 30% étaient juifs ; l’excellence juive à cette époque fut époustouflante. Je pense que l’esprit du temps qui régnait en Allemagne à cette époque, ce foutu Zeitgeist, n’est pas étranger à tout cela. Ce sont des lois anti-juives et une suites interminable de vexations à l’encontre de la communauté qui ont amené les Juifs à briller plus haut encore. La raison suffisante de l’élite juive n’est bien évidemment pas l’antisémitisme, mais il est clair que pour certains, comme Haber, l’antisémitisme fut un facteur essentiel de sa destinée.
Propos recueillis par Didier Pasamonik, octobre 2005.
Fritz Haber de David Vandermeulen Editions Delcourt
Haber, la guerre terminée, retrouve son poste de professeur à l'Institut de Berlin-Dahlem, et y reste jusqu'en 1933, date à laquelle cet établissement est touché par les lois antijuives promulguées par le régime nazi, et qui exigent la démission du poste qu'elle occupe (enseignant, chercheru, fonctionnaire gestionnaire) de toute personne de race juive.
Indigné par ces dispositions, et faisant preuve du même courage qu'on lui a vu dans de tout autres circonstances, Haber écrit au Ministère de l'Education Nationale et de la Science une lettre datée du 30 avril 1933 où il déclare : "Depuis plus de quarante ans, j'ai choisi mes collaborateurs en fonctions de leur intelligence et de leur caractère, et non de considérations d propos de leur grand-mère; je ne changerai pas pour le reste de ma vie cette méthode que j'ai trouvée excellente." Et il part alors pour l'Université de Cambridge, qui lui offrait l'hospitalité et la possibilité de continuer ses recherches, offre généreuse dont il ne profite malheureusement pas longtemps : désireux de prendre quelques semaines de repos en Italie en passant par la Suisse, il succombe à une crise cardiaque au cours de son voyage membres lycos
22 avril 1915
Détails Le 22 avril 1915, à Ypres, les Allemands lâchent 150 tonnes de chlore sur le front des tranchées et tuent près de 1000 soldats français et africains, tandis que 3000 autres sont mis hors de combat. Le commandement allemand est tellement surpris du succès de l'opération qu'il ne profite pas de la trouée qui s'opère dans les lignes françaises. Derrière cette attaque se trouve le chimiste allemand Fritz Haber, le père de la guerre chimique et futur Prix Nobel de chimie. Contacté par l'industriel Carl Duisberg, c'est lui qui a mis au point le gaz mortel, en se basant notamment sur sa propre loi, dite loi de Haber. Celle-ci exprime une relation simple entre la concentration d'un gaz et le temps d'exposition nécessaire pour provoquer la mort d'un sujet humain. Pendant la Première Guerre mondiale, Haber supervise de nombreuses attaques chimiques, dont cette première offensive à Ypres. Par la suite, d'autres gaz de combat sont mis au point par les deux armées (leur utilisation est pourtant interdite depuis le traité de La Haye de 1899). Le plus mortel d'entre eux, le phosgène, provoque la mort des sujets plusieurs heures après exposition : le gaz se transforme lentement en acide chlorhydrique une fois qu'il est à l'intérieur des poumons… En 1917, Fritz Haber met au point le gaz moutarde, qui est lancé pour la première fois le 11 juillet, toujours sur Ypres. Dans les années 1920, des chercheurs travaillant pour Haber mettent au point le Zyklon B. Juif, le chimiste allemand s'exile en 1934 et meurt deux ans plus tard. Certains membres de sa famille périront dans les camps d'extermination nazis en inhalant du Zyklon B.
L’inventeur de la synthèse de l’ammoniac à haute pression.
Sur la base de ses travaux, BASF est la première société au monde à démarrer, dès 1913, une usine d’ammoniac à Oppau, près de Ludwigshafen.
Carl Bosch, de la BASF, avait montré entre-temps que les catalyseurs à base d’osmium ou de ruthénium, préconisés par Haber, pouvaient être remplacés avantageusement par des catalyseurs à base de fer dopé par divers oxydes métalliques.
« Il fait du pain avec de l’air », titrait la presse allemande, pour expliquer à ses lecteurs que l’ammoniac est la matière première de base des engrais azotés.
A ce titre, Fritz Haber est incontestablement un bienfaiteur de l’Humanité.
La Suède lui attribue le prix Nobel de chimie en 1918.
Très maladroite et fort mal à propos, l’Académie suédoise fait fi du visage de Janus du récipiendaire. Car Haber est aussi le metteur en scène de la « guerre chimique ». Certes, il n’est pas l’inventeur de ce concept terrifiant Léonard de Vinci le préconisait déjà ! Mais c’est lui qui propose au haut commandement allemand, pour
conclure rapidement les hostilités, l’utilisation de chlore comme gaz asphyxiant. Dès avril 1915, le chlore est « expérimenté » à Ypres, carrefour stratégique essentiel pour les Allemands dans leur lutte contre les forces alliées. Le nombre des victimes reste limité. D’où, dans l’ordre, la synthèse du phosgène, l’entrée en scène du bromure de benzyle et enfin du gaz moutarde, « l’ypérite », utilisé à Ypres
encore, en juillet 1917, avec les méfaits terribles que l’on sait.
Bienfaiteur et bourreau de l’Humanité successivement à quelques années d’intervalle !
Morale : la chimie est neutre. Il n’y a ni bonne ni mauvaise chimie ; son image dépend de l’usage que l’on en fait. Elle est à la disposition de l’Homme et des frontières éthiques et morales qu’il se fixe.
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