PRIX NOBEL 2002
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Biologiste britannique, Prix Nobel de physiologie ou médecine 2002, Sydney Brenner est né en 1927 en Afrique du Sud. Après des études aux universités de Witwatersrand et d´Oxford, il sera professeur à l´Institut de sciences moléculaires de l´Université de Berkeley (Californie) et recevra, entre autres, le Prix Louis Jantet 1987. Avec John Sulston et Robert Horvitz, il a reçu le Nobel pour des découvertes majeures sur la mort cellulaire. C´est lui qui a commencé à étudier ce phénomène, programmé dans les gènes, sur un ver de 1 mm (Caenorhabditis elegans). La mort cellulaire joue un rôle normalisateur dans le développement de l´embryon, et ses déficiences, dans le développement du cancertv5
L’histoire même de ce chapitre relativement nouveau de la biologie cellulaire avait d’abord amené les chercheurs à penser que le pouvoir de s’autodétruire par ce qu’on avait appelé la mort programmée était une propriété exclusive des cellules de l’embryon où elle jouait, dans la construction du corps, un rôle aussi important que la production de nouvelles cellules.
Il est assez vite apparu que l’apoptose se poursuit bien au-delà de la naissance et qu’elle constitue un élément essentiel dans le maintien du bon fonctionnement des organismes. Elle existe en effet chez tous les êtres multicellulaires. On a pu montrer que même chez les unicellulaires, elle intervient dans l’équilibre des populations et dans leurs relations avec le milieu extérieur.
L’importance du phénomène d’apoptose chez l’adulte est manifeste. Un homme adulte, composé de plusieurs dizaines de milliers de milliards de cellules, en perdrait au moins une centaine de milliards (soit 1011) par jour, soit plusieurs millions de cellules par seconde. Des régions entières de notre corps sont le site d’un renouvellement rapide. Il en est ainsi de la peau, de la paroi interne de l’intestin et du sang. Les composés issus des cellules mortes sont réutilisés pour la construction de nouveaux tissus. Nous nous nourrissons donc en permanence d’une part de nous-même et, comme Phœnix, l’oiseau mythique, nos renaissons chaque jour, en partie, de nos cendres.
Tous les tissus composant notre corps ne sont pas soumis à un renouvellement aussi rapide que le sang, la peau ou la paroi interne de l’intestin. La différenciation cellulaire confère aux cellules spécialisées une durée de vie variable. Les cellules de la peau et celles qui tapissent l’intestin perdent le pouvoir de se diviser. Elles ne vivent que quelques jours (3 ou 4 jours pour la paroi de l’intestin). Comme celles du sang, elles sont sans cesse renouvelées grâce à l’activité de cellules souches qui restent indifférenciées En revanche, les neurones qui constituent le cerveau sont pour la plupart produits pendant la vie embryonnaire, une fois pour toutes.
La dynamique de renouvellement des cellules sanguines a été particulièrement étudiée. D’une manière générale, les cellules souches génèrent plus de cellules que nécessaire, un ajustement se produit ensuite, via des facteurs produits par d’autres tissus. Ainsi, les précurseurs des globules rouges ont-ils besoin d’une hormone, l’érythropoïétine, pour inhiber leur programme intrinsèque de mort. C’est la quantité d’érythropoïétine produite par le rein qui règle la quantité de cellules souches sanguines qui survivent et par conséquent la quantité de globules rouges.
L’équilibre et la taille des organes sont étroitement réglés, on le sait, pas seulement en ajustant la prolifération des cellules mais aussi parce qu’une bonne partie des cellules ainsi produites sont d’une manière incessante détruites par apoptose.
La régulation de la vie et de la mort des cellules dans les organismes est donc cruciale pour leur équilibre fonctionnel. Elle fait partie de la vie “ sociale ” des cellules qui les composent. On comprend de mieux en mieux en quoi consistent ces interactions. Les cellules agissent les unes sur les autres en produisant des facteurs ou “ médiateurs ” très divers. Certains assurent la survie des cellules en inhibant leur programme de mort, d’autres déclenchent leur suicide en se liant à ce qu’on appelle des récepteurs de mort. Un des cas les mieux étudiés est celui du couple Fas : récepteur et ligand. Lorsque le ligand de Fas se lie à son récepteur, celui-ci modifie sa forme et transmet à la cellule un signal qui déclenche son autodestruction. D’autres inhibent le déclenchement du programme de mort, ce sont des facteurs de survie comme le NGF pour les neurones et l’érythropoïétine pour les précurseurs des globules rouges.
Ces connaissances ont permis de comprendre les mécanismes responsables de plusieurs maladies. On sait maintenant que les hépatites fulminantes produites par des virus ou par l’alcool sont dues à la mort massive des cellules du foie. Celles-ci possèdent à leur surface le récepteur Fas mais, à l’état normal, ne produisent pas le ligand. Par des mécanismes moléculaires variés, les virus des hépatites et l’alcool provoquent la production par les cellules hépatiques du ligand de Fas, ce qui entraîne leur destruction rapide. Ces connaissances conduisent à concevoir des thérapeutiques radicalement nouvelles.
Enfin, on le sait aujourd’hui, le blocage anormal du suicide cellulaire, constitue une étape décisive dans la transformation d’une cellule normale en une cellule cancéreuse.
L’apoptose, ses causes, ses modalités, ses altérations pathologiques sont désormais un des domaines de recherche les plus actifs de la biologie cellulaire.
On voit que beaucoup de chemin a été parcouru depuis que les chercheurs ont commencé à se pencher sur le destin des cellules embryonnaires du petit ver C. elegans. Il s’agit probablement d’un des exemples les plus évidents du caractère imprévisible des découvertes scientifiques. Notamment de celles qui ouvrent une voie nouvelle et qui changent notre manière de penser et d’appréhender la réalité. Celles qui permettent de donner une signification à des faits déjà observés mais restés jusque-là incompris. Elles sont par essence insoupçonnées puisque n’entrant pas dans les schémas de pensée qui ont cours.
La recherche vraiment innovante n’arrive donc à ses fins que par surprise. Elle ne peut être programmée : une notion particulièrement difficile à comprendre et à traduire dans les faits par nombre des responsables du financement institutionnel de la recherche. En fait, pour favoriser vraiment la créativité et donc l’innovation, il faut laisser les chercheurs libres, accepter qu’ils se trompent et qu’ils semblent parfois un peu perdre du temps. Cela n’est en rien incompatible avec une évaluation bien comprise et au total efficace de leur activité.
Nicole M. LE DOUARIN
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