PORTRAIT
Héraut de la lutte pour les droits de l’homme et défenseur incontournable de la cause des Indiens d’Amérique latine
Bartolomé de Las Casas par C. Brumidi (1876).
Il sera la 'mauvaise conscience des conquistadores'
"Dieu m'a élu pour faire apparaître et vouer à l'exécration la mortelle pestilence de l'oppression exercée sur les indiens ; et il me donna à cet effet une résolution et une persévérance à toute épreuve"biblio domuni
D’ascendance juive, l’espagnol Bartolomé de Las Casas est célèbre pour le soutien qu’il apporta aux indiens du nouveau monde contre l’oppression brutale des conquérants espagnols.
Un «nouveau chrétien» au secours des Indiens d’Amérique
Bartolomé de Las Casas (1474-1566)
Bartolomé de Las Casas est né à Séville en 1474. Il est issu d’une famille juive contrainte à l’apostasie et à la conversion pour échapper aux persécutions.
• En 1503, il acquiert une Encomienda dans le nouveau monde (propriété attribuée à un Espagnol sur les terres indigènes et sur les habitants qui y sont rattachés.)
• Entre 1506 et 1510, il se fait ordonner prêtre et devient dominicain en 1522.
• A partir de 1514, Las Casas réagit contre l’application du Requerimiento qui attribue aux conquistadores des droits exorbitants sur les Indiens. Il s’engage alors dans une lutte de cinquante ans en faveur de ces derniers durant lesquels il fera plus de quatorze voyages entre les deux continents.
La Controverse de Valladolid (1550)
• Elle se tint en présence d’un Légat du Pape et opposa Bartolomé de Las Casas et le philosophe Sepulveda sur la question de l’appartenance des Indiens d’Amérique à
l’humanité.
• Le verdict du Légat fut prononcé en faveur de B. de Las Casas à savoir que les Amérindiens ont bien une âme.
• Bien que mal acceptée par les conquistadores, cette décision devint la position officielle tant de Charles Quint (1500-1558) que de l’Eglise catholique.
akadem
Fray Bartolomé de Las Casas
(Séville 1472 – Madrid 1566)
Fils d’un modeste marchand de Tarifa, Bartolomé de Las Casas est né à Séville en 1472. Il suit des cours de latin et de sciences humaines avant de partir pour Hispaniola avec l’expédition dirigée par Nicolás de Ovando en 1502. C’est ainsi que Bartolomé perpétue la tradition familiale puisque son père avait participé au second voyage de Christophe Colomb.
Sur Hispaniola (La Española) il obtient une « encomienda » d’indiens, se consacrant dans un premier temps aux travaux agricoles, puis sera ordonné prêtre en 1510, le premier en Amérique.
Les postulats dominicains opposés à la « encomienda », en raison des abus commis envers les indiens, ne parviennent cependant pas à changer l’opinion de Fray Bartolomé qui dépend cette institution.
Avec Pánfilo de Narváez il rejoint Cuba où il reçoit la charge de chapelain et une « encomienda » d’indiens qu’il envoie travailler dans les mines d’or et les champs.
Mais peu à peu, Bartolomé de Las Casas prend conscience de l’injustice du système de la « encomienda » et décide de la combattre. Il considère que les seuls propriétaires du Nouveau Monde sont les indiens et que les espagnols ne doivent y aller que dans le seul but de convertir les indigènes.
Cette prise de conscience l’amène à rejeter toutes ses « encomiendas » et à commencer une campagne pour la défense des indiens, démontrant les aspects négatifs des « encomiendas ».
Son projet est adressé en premier au roi Fernando et ensuite au cardinal Cisneros, qui le nommera « Protecteur des Indiens » en 1516.
A la mort du cardinal, Fray Bartolomé de Las Casas poursuit sa tâche avec le nouveau roi, Carlos I (Charles Quint).
Les abus des fonctionnaires sont dénoncés publiquement, ce qui lui vaut l’inimitié de nombreux administrateurs, plus particulièrement de membres du Conseil des Indes, présidé par l’évêque Juan Rodríguez de Fonseca.
L’idée de Las Casas est une colonisation pacifique des terres américaines par des paysans et des missionnaires. C’est dans ce but qu’il se rend en Amérique en 1520, où Carlos I (Charles Quint) lui concède le territoire vénézuélien pour mettre en pratique ses théories.
La nouvelle formule est expérimentée avec peu de succès car pendant une absence de Bartolomé de Las Casas, les indiens en profitent pour massacrer un bon nombre de colons. Le désastre de l’expérience de Cumaná va motiver son entrée dans l’ordre des Dominicains, commençant une retraite qui va durer 16 ans.
Ce temps ne réussira pas à étouffer ses théories contre la « encomienda » et l’esclavage des indiens. Curieusement, Fray Bartolomé restait en faveur de l’esclavage des noirs.
Il continue donc de soutenir que toutes les guerres contre les indiens sont injustes, affrontant les autres théologiens, dont fray Francisco de Vitoria.
A plusieurs occasions il sollicite l’autorisation de ses supérieurs pour aller défendre ses idées devant le Conseil des Indes. Mais l’échec de Cumaná l’a discrédité.
En 1535, il part vers le Pérou mais son bateau fait naufrage près des côtes du Nicaragua où il affronte le gouverneur Rodrigo de Contreras en dénonçant l’envoi d’esclaves indiens au Pérou.
L’année suivante, il se rend au Guatemala pour continuer sa lutte et mettre en marche un projet de conquête pacifique nommée la "Vera Paz". Entre 1537-1538 la christianisation de la zone est obtenue de manière pacifique, remplaçant la "encomienda" par un tribut payé par les indiens.
En 1540 il revient vers la péninsule, convaincu que c’est à la Cour d’Espagne qu’il faut gagner la bataille en faveur des indiens.
Deux ans plus tard, le Conseil des Indes écoute les théories de Las Casas, discours qui fera grande impression sur Carlos I. Le 20 Novembre 1542 sont publiées les « Leyes Nuevas » (Nouvelles Lois) qui restreignent les « encomiendas » et l’esclavage des indiens.
C’est à cette époque que Fray Bartolomé de Las Casas écrit son œuvre principale : la "Brevísima relación de la destrucción de las Indias" (Très brève relation de la destruction des Indes), dans laquelle il accuse les découvreurs du Nouveau Monde de tous genres de crimes et d’abus.
A sa parution, l’œuvre est considérée comme scandaleuse et exagérée. Elle est publiée illégalement en 1552 et obtiendra beaucoup de succès au cours du XVII ème Siècle, devenant une référence lors de la "Légende Noire" contre l’Empire Espagnol.
En 1543 Las Casas renonce à l’évêché de Cuzco mais accepte celui du Chiapas où le roi d’Espagne lui demande de mettre en pratique ses théories.
Sa venue au Chiapas n’est pas très chaleureuse, considéré par les colons comme le responsable de la parution des "Leyes Nuevas" (Nouvelles Lois ).
Sur les terres américaines il écrit un « manuel de confession » où il prévient qu’avant toute confession, le pénitent devra libérer les esclaves qu’il aurait en sa possession. Ces mesures vont être à l’origine de nombreux troubles qui, en 1546, l’obligent à s’en aller à Mexico où il continuera la même politique.
Ses doctrines sont rejetées par une junte de prélats. Ce rejet unanime le conduit à s’embarquer à Vera Cruz pour l’Espagne. Il se retire au couvent de San Gregorio à Valladolid.
Au cours des années 1550-1551 ont lieu d’importantes discussions sur la légitimité de la conquête entre Las Casas et Juan de Ginés Sepúlveda, dont le second sortira vainqueur.
Fray Bartolomé de Las Casas renonce à son évêché et meurt à Madrid en 1566.americas fr
Sur akadem : Judaïsme et philosophie politique moderne
Emergence des droits de l'Homme
Blandine Kriegel, Professeur à Paris X-Nanterre, directeur d'études à l'Ecole pratique des hautes études
L'Institut Universitaire d'Etudes Juives-Elie Wiesel
On n'oubliera pas aussi de mentionner le marrane Jean Bodin (1529 ou 1530-1596), philosophe, juriste et économiste français, théoricien de la monarchie absolue qui a apporté une importante contribution à la philosophie politique au XVIe siècle.
Et bien sur l'autre grand marrane Michel de L'Hospital (1505-1573) Conseiller au Parlement de Paris, ambassadeur au concile de Trente, surintendant des finances et enfin chancelier de France. Il s'employa de toutes ses forces à calmer les haines religieuses et arrêter l'effusion du sang.
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1 commentaire:
Bartolomé de Las Casas. Très brève relation de la destruction des Indes. 1552
Les Indes ont été découvertes en l’année 1492 ; elles furent peuplées l’année suivante de chrétiens espagnols, de sorte qu’en quarante-neuf ans de nombreux Espagnols s’y sont rendus. La première terre où ils pénétrèrent pour s’y établir est la grande et bienheureuse île Espagnole, qui a six cents lieues de pourtour. Il y a tout autour d’innombrables autres îles très grandes. Nous les avons vues et elles étaient toutes aussi peuplées et pleines de naturels, les Indiens, que n’importe quelle terre habitée du monde.
La Terre Ferme, dont le point le plus proche est à environ deux cent cinquante lieues de l’île, a dix mille lieues de côtes connues, et on en découvre chaque jour davantage. Toutes les terres découvertes jusqu’en 1541 sont tellement pleines de gens, comme une ruche, que l’on croirait que Dieu y a mis la plus grande quantité de tout le lignage humain.
Tous ces peuples universels et innombrables, de toutes sortes, Dieu les a créés extrêmement simples, sans méchanceté ni duplicité, très obéissants et très fidèles à leurs seigneurs naturels et aux chrétiens qu’ils servent ; les plus humbles, les plus patients, les plus pacifiques et tranquilles qui soient au monde ; sans rancune et sans tapage, ni violents ni querelleurs, sans rancoeur, sans haine, sans désir de vengeance. Ce sont aussi des gens de conformation délicate, fluette et fragile, qui supportent difficilement les travaux et meurent très facilement de n’importe quelle maladie. Les fils de princes et de seigneurs de chez nous, élevés dans l’aisance et la vie douce, ne sont pas plus fragiles qu’eux, et même pas plus fragiles que les Indiens de familles paysannes. Ce sont aussi des gens très pauvres, qui possèdent fort peu et qui ne veulent pas posséder de biens temporels ; c’est pourquoi ils ne sont ni orgueilleux, ni ambitieux, ni cupides. Leur nourriture n’est ni plus abondante, ni meilleure, ni moins pauvre que celle des Saintes Pères dans le désert. Ils vont en général tout nus, ne couvrant que leurs parties honteuses ; ils se couvrent tout au plus d’une couverture de coton d’une aune et demie à deux aunes carrées. Leurs lits sont des nattes et, au mieux, ils dorment dans des sortes de filets suspendus qu’ils appellent hamacs dans la langue de l’île Espagnole.
Ils ont l’entendement clair, sain et vif. Ils sont très capables et dociles pour toute bonne doctrine, et très aptes à recevoir notre sainte foi catholique et à acquérir des moeurs vertueuses. Dieu n’a pas créé au monde de peuple où il y ait moins d’obstacles à cela.
Et dès qu’ils commencent à entendre parler des choses de la foi ils insistent tellement pour les connaître et exercer les sacrements de l’Eglise et le culte divin qu’en vérité les religieux doivent être dotés par Dieu d’une signalée patience pour les supporter. Finalement, j’ai entendu souvent, depuis plusieurs années, beaucoup d’Espagnols qui n’étaient pas des religieux, dire qu’ils ne pouvaient nier la bonté visible de ces gens. Ils auraient été certainement les plus heureux du monde si seulement ils avaient connu Dieu.
C’est chez ces tendres brebis, ainsi dotées par leur créateur de tant de qualités, que les Espagnols, dès qu’ils les ont connues, sont entrées comme des loups, des tigres et des lions très cruels affamés depuis plusieurs jours. Depuis quarante ans, et aujourd’hui encore, ils ne font que les mettre en pièces, les tuer, les inquiéter, les affliger, les tourmenter et les détruire par des cruautés étranges, nouvelles, variées, jamais vues, ni lues, ni entendues. J’en dirai quelques-unes plus loin ; elles ont été telles que sur les trois millions de naturels de l’île Espagnole que nous avons vus il n’y en a même plus deux cents aujourd’hui. […]
Au cours de ces quarante ans, plus de douze millions d’âmes, hommes, femmes et enfants, sont morts injustement à cause de la tyrannie et des oeuvres infernales des chrétiens. C’est un chiffre sûr et véridique. Et en réalité je crois, et je ne pense pas me tromper, qu’il y en a plus de quinze millions.
Ceux qui sont allés là-bas et qui se disent chrétiens ont eu principalement deux manières habituelles d’extirper et de rayer de la face de la terre ces malheureuses nations. L’une en leur faisant des guerres injustes, cruelles, sanglantes et tyranniques. L’autre, après avoir tué tous ceux qui pourraient désirer la liberté, l’espérer ou y penser, ou vouloir sortir des tourments qu’ils subissaient, comme tous les seigneurs naturels et les hommes (car dans les guerres ont ne laisse communément en vie que les jeunes et les femmes), en les opprimant dans la plus dure, la plus horrible et la plus brutale servitude à laquelle on a jamais soumis hommes ou bêtes. A ces deux formes de tyrannie infernale se réduisent, se résument et sont subordonnées toutes les autres, infiniment variées, de destruction de ces peuples.
Si les chrétiens ont tué et détruit tant et tant d’âmes et de telle qualité, c’est seulement dans le but d’avoir de l’or, de se gonfler de richesses en très peu de temps et de s’élever à de hautes positions disproportionnées à leur personne. A cause de leur cupidité et de leur ambition insatiables, telles qu’ils ne pouvaient y en avoir de pires au monde, et parce que ces terres étaient heureuses et riches, et ces gens si humbles, si patients et si facilement soumis, ils n’ont eu pour eux ni respect, ni considération, ni estime. (Je dis la vérité sur ce que je sais et ce que j’ai vu pendant tout ce temps.) Ils les ont traités je ne dis pas comme des bêtes (plût à Dieu qu’ils les eussent traités et considérés comme des bêtes), mais pire que des bêtes et moins que du fumier.
C’est ainsi qu’ils ont pris soin de leurs vies et de leurs âmes, et c’est pourquoi ces innombrables gens sont morts sans foi et sans sacrements. Or c’est une vérité notoire et vérifiées, reconnue et admise par tous, même par les tyrans et les assassins, que jamais les Indiens de toutes les Indes n’ont fait le moindre mal à des chrétiens. Ils les ont d’abord crus venus du ciel jusqu’à ce que, à plusieurs reprises, les chrétiens leur aient fait subir, à eux ou à leurs voisins, toutes sortes de maux, des vols, des meurtres, des violences et des vexations.
lettres ac versailles
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