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CLAUDE LANZMANN


SHOAH
LITTELL
PORTRAIT










'«Shoah» n'est pas un film sur les survivants, c'est un film sur les morts. Les morts sont mort, les vivants s'effacent devant eux et j'appelle donc les protagonistes juifs de «Shoah» des «revenants». Parce qu'en réalité aucun n'aurait jamais dû survivre et, s'ils ont pu, c'est par miracle. Je les tiens pour des héros, des saints, des martyrs. Ils s'oublient totalement, parlent avec une abnégation totale. Ils ne racontent pas comment ils ont survécu, ne disant jamais «je», mais «nous». Ils sont les porte-parole des morts.'


CLAUDE LANZMANN est né à Paris le 27 novembre 1925. En 1952, il rencontre Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir et entre au comité de rédaction de la revue Les Temps Modernes, dont il est aujourd’hui le directeur. Son premier film, Pourquoi Israël, en 1973, est la traversée subjective d’un Etat, d’une mémoire et d’une condition : que signifie « être juif » ? Presque trente ans après les Réflexions sur la question juive de Jean-Paul Sartre, Claude Lanzmann inaugure un questionnement dont l’extermination des Juifs durant la Seconde guerre mondiale, et la naissance d’Israël, ont modifié les termes. Il le poursuit avec Shoah, considéré comme une œuvre fondatrice, un événement cinématographique majeur et reçu comme un choc par le monde entier, à sa sortie, en 1985. En 1994, Lanzmann consacre un film à l’armée israélienne, Tsahal. En 1997 et 2001, avec Sobibor, 14 octobre 1943, 16 heures et Un vivant qui passe, il poursuit le travail entamé avec Shoah.

Médaillé de la Résistance, Officier de la Légion d’honneur, Commandeur de l’Ordre National du mérite. Docteur Philosophiae Honoris Causa de l’Université Hébraïque de Jérusalem, Claude Lanzmann est considéré aujourd’hui comme un cinéaste unique et incontournable.


Filmographie.

1973 : Pourquoi Israël ; 1985 : Shoah ; 1994 : Tsahal ; 1997 : Un vivant qui passe ; 2001 : Sobibor 14 octobre 1943, 16 heures.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Quand on prononce le mot monument, on voit immédiatement quelque chose d'imposant, de grandiose et de figé. Mais Claude Lanzmann, homme de paradoxes, a fait de ce livre de Mémoires - mot qu'il récuse, avec raison - un monument en mouvement. Il est fou de la vie, comme cet animal qu'il aime, le lièvre - d'où le titre, Le Lièvre de Patagonie. Le lièvre qui parvenait à s'enfuir des camps de concentration en passant sous les barbelés ; celui qui, en Patagonie, a traversé la route comme un bolide, au mépris de la voiture de Lanzmann arrivant à grande vitesse ; celui qui ne sera jamais rattrapé par la tortue. "Je ne suis ni blasé ni fatigué du monde, écrit Lanzmann, cent vies, je le sais, ne me lasseraient pas." Cent vies, il les a eues (lire son portrait par Serge July dans Le Monde 2 du 7 mars), et, à 83 ans, il s'en souvient avec une acuité magistrale.


Tous ceux qui s'intéressent à l'histoire intellectuelle de la seconde moitié du XXe siècle, à Sartre et Beauvoir particulièrement, savaient qu'ils seraient enthousiasmés par le récit de Claude Lanzmann. Par son contenu, même si le livre n'était pas, en soi, un grand livre. Mais, bonheur supplémentaire, Le Lièvre de Patagonie est un très grand livre. Par sa construction, qui bouscule avec subtilité la chronologie, par la précision de la narration, par le style, qui exige de lire ligne à ligne ce long texte rassemblant plusieurs livres : celui d'un aventurier de la vie, celui d'un combattant, d'un guerrier, d'un partisan, celui d'un amoureux, celui d'un cinéaste singulier. Et celui, qui les unit tous, d'un écrivain.


"FONCER AU LARGE"


Les récits de voyage sont de petites merveilles. La découverte d'Israël en 1952, un séjour en Corée et une idylle improbable avec une infirmière dans un pays totalement verrouillé, les mois passés à Berlin, la Chine, l'Algérie et la haute figure de Frantz Fanon, tant d'autres pays encore, pour ce voyageur infatigable.

A 18 ans, à Clermont-Ferrand, Claude Lanzmann entre dans la Résistance, transporte des armes avec la jeune et séduisante Hélène, fait l'expérience de la violence, de la lâcheté - d'un camarade - et de son tempérament de guerrier. Il n'a pas peur de mettre son corps en danger - ce qui ne signifie pas qu'il n'a jamais peur. Il fait du planeur, apprend à piloter, aime la montagne, et nager : "Foncer au large, perpendiculairement à la côte, ne pas la longer, a toujours été ma façon de faire." Un jour, en Israël, il a failli ne pas revenir et se noyer, à l'endroit même où, le dimanche précédent, l'ambassadeur d'Angleterre en Israël avait péri. Mais, une fois de plus, la mort n'a pas voulu de lui.

Parallèlement à ce roman d'aventures se déploie, dans Le Lièvre de Patagonie, une histoire plus intime. Et Lanzmann a le talent des portraits. Ceux des témoins de son enfance, sa mère, son père - vite séparés -, son beau-père et sa belle-mère. La mère qui "avait fait honte à l'enfant conformiste que j'étais. Son bégaiement terrible, intraitable, inexpugnable, (...) ses colères qui faisaient rouler dans leurs orbites ses beaux grands yeux". D'autres femmes aussi : sa soeur très aimée, Evelyne, belle actrice, malheureuse en amour, qui s'est suicidée ; celles qu'il a épousées, dont Judith Magre ; celles qu'il a séduites, et rapidement aimées, lui qui affirme : "Je hais profondément, de tout mon être, les figures obligées de la roucoulade, temps perdu, paroles convenues (...) et aujourd'hui je vais droit, comme dirait Husserl, à "la chose même"."


"ENCORE PLUS FOLLE QUE MOI"


Dans Le Lièvre de Patagonie, ce qu'on pourrait appeler "le roman de Beauvoir" aura évidemment une place à part pour tous ceux qui aiment Simone de Beauvoir. Non que Sartre, cette "formidable machine à penser, bielles et pistons fabuleusement huilés", soit absent. Au contraire, on voit comment, avant même leur rencontre, son oeuvre a été fondatrice dans la formation intellectuelle du jeune Lanzmann.

Quand Simone de Beauvoir, dite le Castor par ses proches, s'est liée avec Lanzmann, il avait 27 ans et elle 44. Il est le seul homme avec lequel elle ait cohabité. "La présence de Lanzmann auprès de moi me délivra de mon âge (...) car ma curiosité s'était beaucoup assagie", écrit-elle dans La Force des choses. Et lui : "Simone de Beauvoir était raisonnable, le Castor était encore plus folle que moi. C'est le Castor qui l'emporta." Expéditions en montagne trop dangereuses parce qu'ils sont mal équipés et frôlent l'accident fatal, passion de la corrida, curiosité insatiable. Quand on a lu Beauvoir, on la reconnaît à chaque page, illuminée par la tendresse avec laquelle Lanzmann évoque ses manies et ses angoisses. Sa frénésie de tout voir dans une ville, et de tout savoir, de tout raconter et reraconter, avec Lanzmann ce que lui a dit Sartre, avec Sartre ce que lui a dit Lanzmann... Jamais Simone de Beauvoir n'a été, de nouveau, aussi vivante.

L'un des autres livres de ce texte pluriel est évidemment l'aventure extraordinaire de la réalisation de Shoah. Et ce moment essentiel où Lanzmann comprend que le sujet du film sera "la mort même, la mort et non pas la survie". La mort, qui est comme la scène inaugurale de ce récit puisque le premier chapitre commence ainsi : "La guillotine - plus généralement la peine capitale et les différents modes d'administration de la mort - aura été la grande affaire de ma vie." Pour parler de la mort comme le fait Lanzmann, pour réaliser Shoah, pour écrire Le Lièvre de Patagonie, il faut aimer la vie. La vraie vie. Passionnément.


LE LIÈVRE DE PATAGONIE de Claude Lanzmann. Gallimard

Josyane Savigneau
le monde

Anonyme a dit…

Lanzmann - Mémoire vive

par Marianne Payot

A 83 ans, le réalisateur de Shoah lève le voile sur ses mille vies trépidantes. Sartre, Beauvoir, Les Temps modernes, Israël, les témoins de l'extermination des juifs... jalons d'un parcours exceptionnel sur les chemins d'un siècle.


Plus de 500 pages serrées et pas une seconde d'ennui! Plus qu'un tour de force, un tour de magie que ces Mémoires d'un demi-siècle de fureur, de larmes et d'espoirs livrés par l'un des plus précieux témoins de notre temps, Claude Lanzmann. L'on suit, subjugués, ligne après ligne, dans un subtil maelström temporel, le récit de ses tribulations à travers le monde, de ses conquêtes féminines, de ses rencontres intellectuelles ou encore de la gestation de ses oeuvres - Pourquoi Israël, Shoah... Même les souvenirs de la Résistance - souvent aussi rasoirs que les exploits d'un golfeur ou d'un bridgeur - et la minutieuse narration de son baptême de l'air en F 16 enchantent. «Je ne sais pas ce que c'est que vieillir»: voilà peut-être la clef de cette longue déclaration d'amour à la vie d'un jeune homme de 83 ans qui faillit la perdre mille fois - au choix, sous les balles d'un officier allemand, dans les eaux tumultueuses de Méditerranée, sur les cimes enneigées, dans une 4 CV... - et qui en vécut mille. Aussi trépidantes que son style, alerte, précis, vif, malicieux. Le Lièvre de Patagonie (référence au petit animal, «bondissant d'une joie sauvage»), véritable exercice de haute voltige, fort justement applaudi par une presse unanime (ce qui devrait complaire à l'auteur, prompt au contentement de soi), laisse pantelant. Songeur. Sous le charme. Bref aperçu en six séquences de l'univers lanzmannien.

Une famille décomposée
Rien n'est banal, bien sûr, chez les Lanzmann. Point de départ: un mariage arrangé entre Paulette Grobermann et Armand Lanzmann par leur parentèle respective, «bric-à-brac» juif d'Europe de l'Est, qui se conclut par une séparation après des années de stridents conflits. Paulette délaisse la maison de Vaucresson et ses trois jeunes enfants - Claude, Jacques, le futur parolier écrivain baroudeur, et Evelyne - pour filer le parfait amour avec le poète Monny de Boully, ami de Max Jacob, Paul Eluard, Francis Ponge... Armand, son «impardonnable sodomite» de mari - il avait tenté l'impensable lors de leur nuit de noces - se console auprès d'Hélène, plantureuse Normande, et part soigner ses poumons en famille, vers Brioude, en Auvergne. Mais c'est Paulette, avec «son bégaiement terrible, son énorme nez, spectaculairement juif, et ses beaux grands yeux», qui fournit les pages les plus colorées du tableau familial - dont une inénarrable scène d'achat de brodequins aux «Chaussures André», durant laquelle Claude, qui a honte de sa mère, se «conduit en véritable antisémite». Les pages douloureuses, elles, sont réservées à Evelyne, actrice de talent au corps de pin-up et aux multiples amants -Deleuze, Rezvani, Sartre, Claude Roy... - qui se donne la mort à 36 ans, le 18 novembre 1966.

Résistant. Le père contre le Parti
La famille réfugiée à Brioude, sous-préfecture de Haute-Loire, le jeune Claude se retrouve au collège Lafayette (beaucoup moins antisémite que le Condorcet parisien), puis interne au lycée Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand. C'est avec ses compagnons lycéens - il en enrôle près de 200 - que, membre des Jeunesses communistes, il mène la résistance. Mort de peur, il réceptionne des valises d'armes à la gare de Clermont, mais se dit incapable, en cas d'échec, de se résoudre «au sacrifice suprême» - «La question du courage et de la lâcheté [...] est le fil rouge de ma vie», écrit-il. Lorsque, en février 1944, il avoue à son père, lui-même actif combattant des Mouvements unis de la Résistance (MUR), son engagement, décision est prise de regrouper toutes les forces pour la montée au maquis. Stupeur: un jour, le Parti lui demande de trahir les MUR, donc son père. Il choisit la loyauté filiale, est condamné à mort par le PCF -ce qui ne l'empêchera pas de croire, longtemps, en l'utopie communiste, «garante de l'émancipation humaine».

Des femmes et un Castor
«Je n'aime pas séduire», confesse Lanzmann. A défaut de roucoulades, il préfère aller droit à la «chose même», comme sa longue vie amoureuse l'atteste. L'éveil des sens se déroule derrière un trou de serrure à 14,5 ans, avec le corps dénudé d'une certaine Mlle Bordelet. Puis c'est à Paris, dans sa petite chambre de bonne, qu'il emballe Elise, grande bourgeoise haïssant son mari. Il y a ensuite, au gré des pérégrinations du jeune intellectuel journaliste et auteur (il sera même le nègre d'un Cousteau plus que cuistre), une sculpturale brune dans un bordel de luxe de Montparnasse; la comtesse von B., putain berlinoise à l'altière beauté; l'actrice Judith Magre, alors au cours Simon, qui devient sa première épouse en 1963, dix-sept ans après leur rencontre; Dahlia, une jeune kibboutznik; l'énigmatique Kim, infirmière à Pyongyang, dont il s'éprend après un seul baiser; ou encore Angelika Schrobsdorff, écrivain berlinoise de mère juive et de père aryen, installée à Jérusalem, avec qui il convole en 1974. Sans oublier, bien sûr, l'auteur du Deuxième Sexe, Simone de Beauvoir, de 17 ans son aînée, dont il admire «le voile de sa voix, ses yeux bleus, la pureté de son visage et plus encore celle de ses narines». Elle sera sa compagne durant sept ans, puis son amie indestructible jusqu'à sa mort, en 1986.

Dans le giron de Sartre
La guerre terminée, Claude dévore Réflexions sur la question juive. Une lecture apaisante pour le jeune Lanzmann, élevé hors de toute religion, qui se «retrouve dans le portrait de l'inauthenticité juive». En 1952, il fait la connaissance de Jean-Paul Sartre, l'auteur de cet essai libérateur, dont son grand ami de khâgne, Jean Cau, est désormais le secrétaire. «Sartre, c'était vraiment l'intelligence en acte et au travail, la générosité enracinée...»: Claude, invité à participer aux réunions de la prestigieuse revue des Temps modernes, ne sortira pas avant longtemps du giron sartrien. D'autant qu'il devient dans la foulée, avec la bénédiction du maître, l'amant attitré de Simone. Un attelage extraordinaire et ordonné - le Castor partage équitablement ses soirées - source, notamment, de voyages épiques, infernaux ou palpitants (la rencontre avec Frantz Fanon), à deux ou à trois, dans bien des pays. Admiratif sans être flagorneur ni dévot, Lanzmann prend ses distances à partir de 1968 et des années Mao du philosophe, ne supportant pas de le voir vendre à la criée La Cause du peuple...

Israël. Une rencontre décisive
Il y a d'abord le choc du premier séjour, effectué en 1952 à des fins de reportage (Lanzmann publie dans France-Soir, Elle, Le Monde, L'Express, etc., de multiples et audacieuses enquêtes sur l'Allemagne derrière le Rideau de fer, le FLN, le dalaï-lama...). Ebranlé par sa rencontre avec Israël, Lanzmann se découvre «irréductiblement français et français de hasard, pas du tout «de "souche"», tout en ne cessant de s'interroger sur la nature de cet Etat juif et sa corrélation avec le génocide de la Seconde Guerre mondiale. Dès lors, il s'intéresse au conflit israélo-arabe, auquel il consacre un numéro spécial de 1 000 pages des Temps modernes - qui paraît le 5 juin 1967, soit aux premières heures de la guerre des Six Jours! - puis il tourne un film, Pourquoi Israël - diffusé en octobre 1973, en pleine guerre du Kippour -et, enfin, en 1994, un autre sur Tsahal, cette «armée pas comme les autres».

Shoah. La mort à l'oeuvre
Le point d'orgue de l'oeuvre lanzmanienne et le dernier - et passionnant - chapitre de ses Mémoires. C'est l'un de ses amis, nous apprend Lanzmann, qui, après la projection de son documentaire sur Israël, lui suggère de concevoir «non pas un film sur la Shoah, mais un film qui soit la Shoah». «Le sujet de mon film serait la mort même, la mort et non pas la survie», poursuit-il, se fixant dès lors pour défi de ne pas utiliser d'images d'archives et de remplacer les documents inexistants sur les chambres à gaz par des entretiens avec les «témoins» les plus proches de la solution finale. Soit les protagonistes juifs (membres des Sonderkommandos, prisonniers de longue durée) ayant oeuvré dans l'antichambre de la mort, plus «revenants» que «survivants», les Polonais ayant travaillé pour les nazis et les tueurs eux-mêmes, qu'il espère bien confesser à visage découvert. Une extraordinaire enquête criminelle débute, qui le mène des Etats-Unis en Allemagne, d'Israël en Pologne. A New York, il recherche Abraham Bomba, coiffeur de Treblinka - magnifique orateur dont les larmes impressionnent la pellicule; à Tel-Aviv, il retrouve Michael Podchlebnik, évadé de Chelmno; à Treblinka, il écoute le chauffeur de locomotive Henrik Gawkowski, «accablé de remords»... En Allemagne, il tente d'approcher Perry Broad, superviseur des sélections sur la rampe de Birkenau, Heinz Schubert, le responsable de l'immense tuerie de Simferopol, en Crimée, ou encore Stier, le «pur bureaucrate». Lanzmann planque durant des heures, utilise bientôt une caméra cachée (la «paluche») pour «tromper les trompeurs», risque sa vie. Après douze ans de traque, de tournage et de montage, les neuf heures trente de «la Chose» (comme il a longtemps baptisé son film) sont projetées en avril 1985. Dès le lendemain de la première, le Castor donne le ton, à la Une du Monde, en qualifiant Shoah d' «authentique chef-d'oeuvre». La suite appartient déjà à l'Histoire.

lexpress

Le Lièvre de Patagonie
Claude Lanzmann




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