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GUR ARIE



HISTOIRE



L'espion au champagne

Mon père, cet espion



Wolfgang Lotz, un agent du Mossad surnommé « L’espion au Champagne », a mené une double vie lourde de conséquences pour sa famille. Au terme d’une longue enquête, le réalisateur Nadav Schirman retrace ce destin hors du commun dans un documentaire.

Après 18 mois d’approche prudente, le réalisateur Nadav Schirman réussit enfin à délier les langues. C’est à visage découvert, dans des cafés ou à leur domicile, que les membres du Mossad acceptent finalement de s’exprimer. Un peu comme si cette histoire était la leur, ces hommes de l’ombre retracent avec passion le destin de leur ancien collègue Wolfgang Lotz, l’homme aux deux vies.

Audace et persuasion
Quand on demande à Nadav Schirman par quel tour de passe-passe il a réussi à filmer des agents secrets israéliens, sa réponse est simple : une bonne dose de culot ! Et ce réalisateur de 36 ans d’évoquer toute la persuasion dont il a dû faire preuve : pendant un an, son interlocuteur au Mossad se refuse à toute entrevue et se contente de communiquer par répondeur interposé. Mais comme Nadav Schirman le dit lui-même, il est « tenace, pour ne pas dire têtu ».

L’histoire à laquelle s’intéresse Nadav Schirman est digne d’un polar hollywoodien. Juif d’origine allemande, Wolfgang Lotz vit à Tel Aviv avec sa femme et son fils quand le Mossad l’envoie au Caire en 1960. Sa mission : espionner des scientifiques allemands qui développent des armes de destruction massive menaçant Israël. Wolfgang Lotz se glisse alors dans la peau d’un ex-officier nazi reconverti dans l’élevage de chevaux. Pour parfaire sa couverture, il se marie à une autre femme. Propriétaire d’un haras, il organise des fêtes grandioses qui deviennent rapidement un rendez-vous incontournable pour la jet-set cairote. Trahi et démasqué en août 1965, il parvient à taire ses origines juives. Après trois années de détention, il rejoint l’Etat hébreu où il est accueilli en fanfare.

Nadav Schirman est fasciné par le destin de ce « 007 » israélien qui se joue des autorités égyptiennes et vit cette seconde existence avec une telle intensité qu’il finit par changer d’identité. Il décide donc de porter à l’écran l’autobiographie de Wolfgang Lotz, parue en 1982. Avec un film amateur sur les juifs orthodoxes pour tout bagage cinématographique et sans savoir comment contacter la famille du défunt, le réalisateur se lance dans cette folle aventure.

Plusieurs mois durant, Nadav Schirman exploite toutes les pistes – même les plus invraisemblables – mais sans succès. Il est sur le point d’abandonner ses recherches lorsque la chance finit par lui sourire. Pendant que son fils apprend à nager le crawl, Nadav engage la conversation avec un homme d’un certain âge et lui fait part de ses difficultés pour retrouver la trace du prétendu fils de Wolfgang Lotz. L’homme lui demande alors son numéro de téléphone, indiquant qu’il pourrait peut-être l’aider. 15 jours plus tard, il reçoit un appel : « L’homme que vous cherchez s’appelle Oded Gur Arie et vit aux Etats-Unis. Voici son numéro de téléphone ».

Un mutisme pesant
« L’espion au Champagne » retrace le destin de l’agent secret Wolfgang Lotz à travers les souvenirs de son fils, Oded Gur Ariem, et aborde trois sujets majeurs sciemment occultés par l’espion dans son autobiographie : l’abandon de sa première femme, de son fils et les dépressions qui l’ont rongé à son retour d’Egypte. Oded Gur Arie est âgé de 12 ans lorsque son père en envoyé en mission secrète. Wolfgang Lotz le met dans la confidence, lui avoue être un agent du Mossad et l’enjoint à garder le silence ; sa vie en dépend. Le jeune Oded est fier. Fier de son père, et fier de la confiance qu’il place en lui. Mais Oded ignore que Wolfgang Lotz mène une seconde existence et qu’il vit avec une autre femme.

Toute sa vie, Oded Gur Arie reste silencieux, n’évoquant jamais la mission égyptienne de son père. Fidèle à la promesse qu’il avait faite, il se refuse à pavoiser devant ses camarades ou à faire part de ses angoisses. Il garde en lui cette peur qui le taraude alors que son père est emprisonné. Oded reste impassible lorsque le Mossad lui annonce, ainsi qu’à sa mère, que Wolfgang Lotz ne reviendra jamais, qu’il a refait sa vie avec une autre.

Le bon, la brute et le truand
Lorsqu’Oded Gur Arie évoque cette histoire devant la caméra, son regard est sibyllin. Aujourd’hui âgé de 55 ans, cet homme au visage très expressif confie même n’avoir jamais évoqué ces événements avec ses enfants. Quand le réalisateur le contacte pour tourner ce documentaire, le fils de « L’espion Champagne » pose une seule condition : « Je veux raconter toute l’histoire et évoquer les différentes facettes de sa personnalité – le bon, mais aussi la brute et le truand ». Afin d’illustrer ses propos, Gur Arie montre au réalisateur quelques extraits de visites de Wolfgang Lotz auprès de sa famille. Sur ces images prises en Super 8, le père s’éloigne à chaque fois un peu plus de son fils et de sa première femme pour finalement leur tourner le dos. « J’ai fini par lui pardonner », confie Gur Arie, assis dans l’hôpital où son père meurt en 1993, miséreux et désabusé. « Mais jamais je n’ai pu pardonner ce qu’il a fait subir à ma mère. »

C’est cette « double vie » maudite qui a finalement incité les membres du Mossad à s’exprimer devant la caméra. Ils évoquent le fossé qui s’est lentement creusé entre Wolfgang Lotz et sa famille, l’humiliation de la mère de Gur Aries et l’incapacité pour Lotz de reprendre sa place dans la « vraie » vie. « En mission à l’étranger, ces espions vivent comme des pachas ; les moyens financiers dont ils disposent sont illimités » affirme un psychologue du Mossad. « Le retour à la normale devient alors insupportable. » Réussir cette transition, c’est le plus grand défi qu’ils ont à relever. Depuis plusieurs mois, les autorités militaires présentent le documentaire de Nadav Schirman aux nouvelles recrues du Mossad – en guise d’avertissement. .

Jenny Buchholz pour ARTE Magazin

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