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PIERRE MENDES FRANCE



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Né à Paris le 11 janvier 1907
Décédé à Paris le 18 octobre 1982

Président du Conseil français

"Un plébiscite, ça se combat"



Pierre Mendès France
Par Jean Lacouture


Une avenue Pierre Mendès France était inaugurée dans le 13ème arrondissement de Paris. Pour Tohu Bohu, celui qui fut le biographe de Mendès revient sur l'identité juive et l'engagement en faveur de la paix au Proche-Orient de l'ancien Président du Conseil.

Vingt ans après sa mort, près d’un siècle après sa naissance, moins d’un demi-siècle après qu’il eut donné à la France, pendant 230 jours, l’exemple du " bon gouvernement ", Paris où il est né, où il est mort, vient enfin de donner le nom de Pierre Mendès France à l’une de ses avenues. A la cérémonie inaugurale, la gauche était largement représentée – notamment par quatre anciens premiers ministres. Mais la droite au pouvoir brillait par son absence, ce qui aurait suscité son ironie, plutôt que son chagrin…
L’homme qui, de Gaulle excepté, sert de référence à la vie publique française depuis la Seconde Guerre Mondiale était né à Paris dans une famille de modestes commerçants du 3e arrondissement, doublement juifs : son père avait des origines séfarades portugaises portant un nom très banal dans ce pays, assorti d’un " de França " qui le rattache à notre pays depuis le xvie siècle ; sa mère, Palmyre Kahn, était alsacienne, comme Léon Blum.


« Juif, Pierre Mendès France l’était pleinement, Juif laïque, athée, détaché de toute pratique »


L’auteur de La République moderne attachait une importance extrême à ses origines, assemblant inlassablement les documents relatifs à ses ascendants portugais : dans sa maison de Louviers, une armoire était consacrée à ces dossiers, que j’ai revue récemment, transportée dans celle de son fils Michel à Bordeaux. Le président assurait que ce qu’il y avait d’intéressant chez ces ancêtres était qu’il s’agissait de gens ordinaires. Mais l’un d’eux fut un colon prospère aux Antilles, une autre cantatrice à l’Opéra-Comique, un troisième négociant important à Bordeaux, où il fut tenu pour un notable de grand style par la brillante communauté juive bordelaise du xviiie siècle.
Juif, Pierre Mendès France l’était donc pleinement, Juif laïc, athée, détaché de toute pratique. En quête d’une définition de sa judéité, on peut se référer aussi bien à ses propres déclarations qu’aux précisions données par sa seconde femme, Marie-Claire, juive comme la première, Lily. A la revue L’Arche qui lui demandait de se définir en tant que Juif, " PMF " répondait : " Je sais que je suis juif. Mes enfants, qui n’ont pas plus que moi la foi, savent qu’ils sont juifs. Je sens que les antisémites me considèrent comme juif. Voilà les faits. " Le collaborateur de L’Arche lui objectant que cette définition " en creux " reflétait le point de vue de Sartre, que l’auteur des Réflexions sur la question juive avait depuis remis en question, Pierre Mendès France s’y tint, non sans faire valoir que la disparition de l’antisémitisme – si tant est qu’on puisse l’espérer – ne ferait pas disparaître le judaïsme…


Marie-Claire Mendès France est un peu plus explicite : "…Cela ne l’a jamais hanté. Il était juif. Il s’assumait en tant que Juif. Mais ce n’est pas parce qu’il était juif qu’il faisait ou ne faisait pas telle chose. Il a souffert de l’antisémitisme avec… je vais dire, sérénité. Il n’était pas sioniste. Mais – je ressens les choses exactement comme lui - nous sommes des Juifs laïcs auxquels il importe qu’Israël vive en sécurité. "
Si sa judéité ne paraît avoir aucunement nui à la foudroyante carrière du plus jeune député de France (élu à Louviers en 1932, à 25 ans) puis secrétaire d’Etat dans le second gouvernement Blum en 1938, le procès qui lui fut intenté pour " désertion " en 1941 à Clermont-Ferrand par le système de Vichy était le type même de l’agression antisémite. Comme l’ont rapporté tous les témoins, nul officier n’avait manifesté plus d’ardeur à combattre le nazisme que lui, et son départ sur le Massilia, de Bordeaux à Casablanca, à la fin juin 1940, s’inscrivait notoirement dans un projet de poursuite du combat. On sait comment il s’évada de la prison de Clermont pour rejoindre à Londres le général de Gaulle auquel il refusa d’assumer des responsabilités ministérielles pour repartir au combat au sein de l’escadrille Lorraine.
Si, le IIIème Reich vaincu, la France libérée, la IVème République mise en place, il n’assume la direction du gouvernement – dont chacun le savait plus digne qu’aucun autre – qu’en 1954, ce n’est pas du fait de ses origines, mais parce qu’il faisait du règlement politique de la guerre d’Indochine le préalable à toute action gouvernementale – ce dont ne voulait pas ce parlement de myopes. Que l’exercice du pouvoir ait été marqué par quelques bouffées d’antisémitisme – émanant parfois du Parti communiste… - n’est pas niable. Mais la coalition qui le renversa le 6 février 1955, celle des pro-européens fanatiques et des partisans de l’Algérie française, n’avait pas pour mobile l’antisémitisme : le meneur très notoire de l’opération, lui-même ancien président du Conseil, s’appelait René Mayer.
L’antisémitisme devait néanmoins peser sur divers épisodes de sa vie politique. Si, en 1956, ce n’est pas lui qui est affecté à Matignon, mais Guy Mollet, c’est (en partie) parce que le président Coty estime que s’il y a des décisions douloureuses à prendre à propos de l’Algérie, un Juif serait plus mal placé qu’un autre pour les assumer. Et si, en 1965, il refuse de présenter sa candidature contre la réélection du général de Gaulle, c’est, entre diverses raisons, parce qu’il estime que si sa judéité ne le condamne pas à la défaite, une éventuelle, une probable défaite face à de Gaulle risquerait d’être interprétée comme le refus opposé par le peuple français à l’élection d’un Juif : ce qui lui semble, justement, un opprobre pour son pays.
Si l’antisémitisme n’a pas joué un rôle décisif dans la carrière du plus estimable des hommes publics français du XXe siècle – le handicapant moins à coup sûr que sa " vertu " outrageuse, ou la haine des communistes qui l’exécraient moins pour des raisons " ethniques " que parce qu’il mordait sur leur électorat, démontrant qu’on pouvait, hors du marxisme, servir la cause du peuple – le fait est qu’il en souffrit, en tant qu’homme. Souffrance due moins à la découverte d’un vieux prurit socio-culturel dont il avait pu mesurer à ses dépens la nocivité, qu’à la découverte de ce paradoxe : que cette République qu’il chérissait, celle de Condorcet, de Jules Ferry, de Clemenceau, celle qui avait fini par gagner la bataille du dreyfusisme, n’était pas un antidote absolu à ce mal…
Juif solidaire, non sioniste mais moins encore antisioniste et profondément attaché à la sauvegarde de l’Etat d’Israël, Pierre Mendès France, comme son ami Nahum Goldmann [créateur du Congrès juif mondial en 1936, N.D.L.R.], était persuadé que la survie de l’Etat hébreu ne pouvait aller sans reconnaissance du fait national palestinien, exprimée par l’autodétermination de ce peuple. Haut de page


Le procès intenté à PMF en 1941 était le type même de l’agression antisémite



« Il se fit l’artiste des colloques discrets qui se tinrent chez lui entre délégations israélienne et palestinienne »



C’est sur ces bases, et en ce sens, qu’il alerta Moshé Dayan, au lendemain de la victoire de 1967, contre toute occupation prolongée des territoires conquis. Et c’est dans le même esprit qu’il se fit l’artiste des colloques discrets qui se tinrent chez lui, en 1976, entre délégations israélienne (Peled, Eliav, Avnery) et palestinienne (Sertawi) qui ne prétendaient nullement représenter l’un ou l’autre pouvoir, mais dessinaient les grandes lignes d’une solution et rendaient compte des travaux d’un côté à Rabin, de l’autre à Arafat.
Très vite, les quelques acquis enregistrés furent marginalisés par l’éclatant voyage de Sadate à Jérusalem [en 1977] dont Mendès fut un témoin d’abord surpris puis enthousiaste. Mais il savait que si la paix avec l’Egypte était un grand progrès, elle n’allait pas à l’essentiel. Il est mort sans avoir pu jeter le pont dont il avait rêvé. Il nous manque beaucoup, pour cela comme pour tant d’autres choses…

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