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MAX OPHULS
ART
BIO
FESTIVAL
FILMS
FICHE
1940
LOLA MONTES
"Le bonheur n'est pas gai"
Maximilian Oppenheimer
06 mai 1902 à Sarrebruck (Sarre, Allemagne)-26 mars 1957 à Hambourg (Hambourg, Allemagne)
MAX OPHULS, UN CINEASTE INCLASSABLE
Le 22 décembre 1955, c'est en quelque sorte à un douteux remake de la bataille d'Hernani qu'assistent, au Marignan, les invités à la première de Lola Montès. Les jeunes voient dans le dernier film de Max Ophuls, - inspiré de la biographie de Cecil Saint Laurent-, l'emblème de la vitalité, le symbole le plus éclatant de l'esprit créatif enfin délivré de toutes les contraintes. Pour eux, la page Renoir est alors définitivement tournée. D'un autre côté, dans les tranchées, certains critiques établis proclament ex cathedra que ce "navet burlesque" déshonore le cinéma français. Il dénoncent l'excès d'affectation des scènes de cirque, des mouvements de caméra par trop sophistiqués, un flot de créativité mal jugulée et mal orchestrée, sans parler de l'usage audacieux des couleurs et du Cinemascope. Face au déluge de critiques, Jean Cocteau, Jacques Becker et Jacques Tati font signer à de nombreux réalisateurs et artistes une pétition de soutien à Ophuls qu'ils publieront dans Le Figaro. Le film défraie également la chronique mondaine. L'interprète de Lola Montes, Martine Carol a en effet fait chavirer le coeur d'un ministre de la quatrième République, futur président de la République, qui la poursuivra longtemps de ses assiduités.
Mais bien avant de porter à l'écran la "vie scandaleuse" de Lola Montes, Ophuls avait déjà brillamment réussi plusieurs portraits de femme. S'il est un cinéaste dont l'œuvre échappe à coup sûr à ce que Truffaut appelait « la tristesse infinie des films sans femmes », c’est bien Max Ophuls, tant il est vrai que chacun de ses longs métrages, de Liebelei à Lola Montes, en passant par Divine, Werther, Lettre d’une inconnue, La Ronde, Le plaisir, Madame De… et bien d’autres, semble être un hymne à l’éternel féminin. A l'instar de Josef von Strenberg, Ophuls affectionne les drames romantiques, multiplie les intermèdes musicaux, est fasciné par les masques et les costumes, et s'attache à dépeindre des personnages féminins inoubliables. Comme Von Sternberg dépeint des hommes initialement forts et puissants, souvent des hommes en uniformes qui se retrouvent très vite incapables de maîtriser leurs émotions et leurs sentiments, face à des "femmes déchues". Et pourtant, comme le soutiendra Truffaut, "Ophuls est l'avocat de ses héroïnes, le complice des femmes".
Quarante cinq ans après sa mort, que pouvons nous retenir de l'oeuvre de Max Ophuls ? Célébré dans les années soixante dix, reconnu pour maître par Godard, Demy, Rivette, Truffaut, Rossellini et même Kubrick, il semble être aujourd’hui tombé dans une certaine désuétude et il est de bon ton d’ironiser sur son côté excessivement kitsch et rétro. Et pourtant, Ophuls fait partie, avec Fritz Lang et quelques autres, de cette confrérie de « cinéastes sans frontières », imprégnés d'une esthétique particulière à la République de Weimar et de l'esprit de la Miteleuropa et qui, contraints de fuir l’Allemagne nazie, ont vécu en France et aux Etats-Unis. Il appartient également à cette confrérie de « cinéastes littéraires » comme Stroheim ou Rossellini, dont le cinéma est empreint de multiples influences historiques et romanesques.
Germano-franco-américain, Max Ophuls, né Oppenheimer, a vu le jour en Sarre, haut-lieu du métissage transfrontalier. Très vite, il montrera un goût pour les arts, refusant de reprendre l'entreprise de confection que gérait son père. Son adolescence n'est pas sans rappeler celle du jeune Werther, du moins par l'exaltation, le romantisme débridé. Il accumule les petits rôles d'acteurs. Il tarde à prendre la mesure du danger national socialiste.
Profondément marqué par les oeuvres de Schnitzler et Maupassant, par la musique d'Offenbach, Ophuls ne cessera de leur rendre hommage soit directement comme dans Werther, soit à travers de multiples clins d'oeils qui émaillent son oeuvre. Au delà de la peinture sans concession d'une bourgeoisie européenne se complaisant dans un romantisme qui portait en lui les germes de sa destruction, Ophuls semble lancer de subtils appels à la résurrection du véritable esprit des Lumières, celui qui régna brièvement avant de se voir perverti par ceux qui voudront à tout prix réussir l'impossible synthèse entre les idées de Jean-Jacques Rousseau et celles de Joseph de Maistre.
S'il connaît son premier grand succès de réalisateur dès 1933 avec Liebelei, Ophuls se sentira toujours mal aimé, incompris. Les critiques les plus anodines blessent cet homme à la sensibilité exacerbée. « La foule n’a aucune patience esthétique », disait-il lui même, rendu amer par les controverses et l’accueil mitigé que les critiques ont réservé à La Ronde (1950) et à Madame de…(1953).
Il faut dire que La Ronde est l'un des films de la seconde moitié du XXème siècle qui ont été le plus mal compris et le plus dénigrés par les critiques, qui feront œuvre expiatoire quelques décennies plus tard en sombrant dans l'admiration béate. Film avant-gardiste dans tous les sens de l'expression, La Ronde oscille inlassablement entre réalité, fiction et artifice. Le narrateur s'adresse directement à la caméra et décrit l'action de façon purement symbolique, loin de la sacro-sainte approche "littérale" des cinéastes d'Hollywood.
Ophuls est qualifié de "cinéaste baroque" par des critiques pressés et soucieux d'apposer des étiquettes et de ranger tout un chacun dans des catégories poussiéreuses et mal définies. Cette qualification de baroque l'irritera au plus haut point, non pas parce qu'il serait infamant d'être un cinéaste baroque mais tout simplement parce qu'elle ne correspondait pas à la réalité d'un homme inclassable et dont l'œuvre ouvre la voie à une rare multiplicité de grilles de lectures.
Mais l'amertume d'Ophuls n'avait point pour unique origine ce qu'il percevait comme un manque de reconnaissance de son oeuvre. Ophuls ne s'est en fait jamais senti chez lui à Hollywood. Il donnait le change, s'efforçait de faire contre mauvaise fortune bon coeur, mais sa Sarre natale était toujours dans son esprit. Son épouse racontera que lors de son retour en Allemagne, après la guerre et le succès, alors qu'ils étaient attablés dans un petite auberge sur l'autoroute Munich-Salzbourg, deux paysans le reconnurent et s'écrièrent : "Joyeux retour dans la vieille patrie !" Ophuls quitta alors précipitamment son épouse qui le retrouvera quelques instants plus tard, effondré et en larmes, la tête sur le volant de sa voiture.
Ce malaise est déjà perceptible dans L'Exilé, premier film "américain" d'Ophuls, dans lequel Douglas Fairbanks Jr, dans un de ses meilleurs rôles, campe un Charles II Stuart qui parviendra grâce à l'amour d'une fleuriste ingénue à échapper aux traquenards que lui tendent les soudards de Cromwell. Ce n'est qu'au terme de nombreuses péripéties qu'il parviendra à rejoindre l'Angleterre et à remonter sur son trône.
Certains vont jusqu' à analyser toute l'oeuvre d'Ophuls à travers le thème de l'exil. Les personnages qui disparaissent subrepticement pour resurgir quelque temps plus tard seraient en quelque sorte les Némesis du cinéaste, éternel voyageur qui pourtant est toujours lui-même.
Jamais Ophuls n'a transigé d'une quelconque manière avec les principes auxquels il croyait. Idéaliste sans donquichottisme, révolté sans être subversif, fidèle à lui-même sans pour autant rejeter le pragmatisme, on pourrait lui appliquer cette phrase d'Edmond Rostand : "Ne le plaignez pas trop, il a vécu sans pactes, libre dans son esprit autant que dans ses actes."
Ce refus des compromissions a amené Ophuls a renoncer en 1950 a l'un des projets qui lui tenaient le plus à cœur, à savoir un film avec Greta Garbo et James Mason. Faute de financement, La Duchesse de Langeais ne verra jamais le jour et ce film non réalisé restera dans l'esprit des cinéphiles comme l'exemple d'un magnifique projet avorté pour des raisons bassement matérielles.
Cette fondamentale autonomie, ce côté réfractaire à toutes les étiquettes, ce dédain viscéral envers les marchands du temple, cette intransigeante indépendance d'esprit nous amènent à nous demander si un Max Ophuls pourrait percer dans le monde cinématographique tel qu'il fonctionne aujourd'hui, avec ses chapelles et ses baronnies, ses assujettissements à toutes sortes de contraintes, esthétiques aussi bien que financières et commerciales. Ophuls se serait-il plié aux exigences des studios hollywoodiens d'aujourd'hui ? il est permis d'en douter
Karim Emile BITAR
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