PRIX NOBEL 2002
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Daniel Kahneman (né le 5 mars 1934 à Tel-Aviv, Israël) est un psychologue et économiste américano-israélien, professeur à l'université de Princeton, lauréat du prix Nobel d'économie en 2002, pour ses travaux fondateurs sur la théorie des perspectives, base de la finance comportementale. Il est aussi connu pour ses travaux sur l'économie du bonheur.
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Né en 1934 à Tel-Aviv, Kahneman a grandi à Paris. Il admet ne pas vraiment savoir si sa vocation de psychologue est née d’avoir été très tôt exposé à des potins intéressants ou si son intérêt pour ces potins était le signe d’une vocation naissante.
«Comme bien d’autres Juifs, je crois, j’ai grandi dans un univers peuplé de gens et d’histoires, des histoires liées le plus souvent à des gens. La nature existait à peine et je n’ai jamais appris à reconnaître les fleurs ou les animaux», relate Kahneman dans son autobiographie. «Mais les gens dont ma mère aimait parler avec ses amies et mon père étaient fascinants de complexité. Certains étaient meilleurs que d’autres, mais les meilleurs étaient loin d’être parfaits et aucun des personnages n’était foncièrement mauvais.» Ces histoires étaient généralement emplies d’ironie et avaient au moins deux facettes.
Kahneman se souvient d’une situation qu’il a vécue au début de l’occupation nazie à Paris et qui l’a marqué par la complexité et les multiples facettes de la nature humaine qu’elle révèle.
«Nous étions fin 1941 ou début 1942. Les Juifs devaient porter l’étoile jaune et ne pouvaient circuler après le couvre-feu de 18 heures. Jouant avec un ami chrétien chez lui, je n’avais pas vu l’heure fatidique passer. Je mis mon chandail à l’envers pour franchir les quelques pâtés de maison qui me séparaient de chez moi. Dans la rue déserte je vis arriver un soldat allemand, vêtu de l’uniforme noir que j’avais appris à redouter plus que tout autre, celui des SS. Tentant d’accélérer le pas à mesure que je me rapprochais de lui, je vis qu’il me regardait fixement. Il se pencha alors vers moi et me souleva dans ses bras. J’étais terrifié à l’idée qu’il remarque l’étoile que je portais à l’intérieur de mon chandail. Il me parla d’une voie très émue, en allemand.
En me reposant au sol, il ouvrit son portefeuille, me montra la photo d’un garçon et me donna quelques sous. Je rentrai chez moi plus convaincu que jamais que ma mère avait raison de dire que l’être humain est fascinant de complexité.»
Kahneman émigre avec sa famille en Palestine en 1946, où il obtient son premier diplôme en psychologie et en mathématiques à l’Université hébraïque de Jérusalem. Enrôlé dans l’armée israélienne en 1954, après une année au grade de lieutenant, il est chargé d’évaluer les soldats et leur capacité à occuper un poste de commandement. Le système basé sur des entretiens et des évaluations qu’il a inventé pour affecter les nouvelles recrues à des postes appropriés est toujours appliqué, à quelques légers aménagements près. Il obtient un doctorat de Berkeley (université de Californie) en 1961 et enseigne à l’Université hébraïque de Jérusalem de 1961 à 1978, passant des années sabbatiques à Harvard et à Cambridge notamment. C’est en enseignant à Jérusalem qu’il amorce avec un collègue des travaux qui lui vaudront le Nobel d’économie, discipline qu’il n’avait pas étudiée.
un nouveau domaine de recherche
Actuellement professeur émérite de psychologie et d’affaires publiques à l’Institut Woodrow Wilson de Princeton, Kahneman a reçu le prix Nobel en 2002 pour des travaux effectués pendant plus de dix ans avec un collègue psychologue, Amos Tversky. Celui-ci est décédé en 1996 et le prix Nobel n’est jamais décerné à titre posthume. «Amos et moi avions la chance de posséder la même poule aux oeufs d’or, je veux dire deux cerveaux fonctionnant à l’unisson et décuplant nos capacités respectives», a déclaré Kahneman.
En lui décernant le prix, le comité Nobel a précisé que Kahneman avait associé la vision pénétrante de la psychologie à la science économique, ouvrant ainsi un nouveau domaine de recherche. Il partage ce prix avec Vernon Smith, qui a ouvert un autre champ d’expérimentation économique
(F&D, mars 2003).
Kahneman a travaillé sur les processus de décision en situation d’incertitude. Il a démontré que les décisions humaines peuvent s’écarter systématiquement de celles que prévoit la théorie économique classique. Il a élaboré, avec Tversky, la «théorie du prospect» pour mieux rendre compte du comportement observé. Kahneman a aussi constaté que le jugement humain peut emprunter des raccourcis intuitifs qui s’écartent systématiquement des principes de base de la probabilité. Selon les membres du comité Nobel, «ses travaux ont incité une nouvelle génération de chercheurs en économie et en finances à enrichir la pensée économique en intégrant les préceptes
de la psychologie cognitive aux éléments intrinsèques de la motivation humaine».
La théorie du prospect éclaire les résultats expérimentaux qui montrent que les individus font souvent des choix différents dans des situations quasiment identiques mais s’inscrivant dans un contexte différent. L’article paru dans Econometrica a été le deuxième le plus cité publié dans cette prestigieuse revue économique entre 1979 et 2000 (Kahneman and Tversky, 1979).
Ces études ont influencé diverses disciplines dont le marketing, la finance et les choix des consommateurs.
Kahneman admet que le nom de la théorie est peu parlant. «Au moment de publier notre étude, nous avons délibérément opté pour ce titre peu évocateur, théorie du prospect, en estimant que, si elle trouvait un jour un écho dans la communauté scientifique, ce label distinct serait un avantage pour l’identifier. Nous avons été bien inspirés.»
Kahneman et Tversky ont étudié pourquoi les individus réagissent beaucoup plus vivement face aux pertes que
face aux profits, conduisant à la notion d’aversion pour le risque, l’un des principaux champs d’analyse de l’économie comportementale.
Les deux psychologues ont aussi constaté empiriquement que les individus minimisent les résultats qui ne sont que probables, par rapport aux résultats obtenus avec certitude.
Cette propension contribue à l’aversion pour le risque dans les choix qui impliquent un profit assuré et à la prise de risque dans les choix dont l’échec est garanti, ce qui explique pourquoi un joueur confronté à une série d’échecs refuse d’accepter qu’il est sûr de perdre et s’obstine à miser, dans l’espoir de «rentrer dans ses fonds».
«Les gens sont poussés à parier en espérant couvrir leurs pertes», a déclaré Kahneman dans un entretien en 2007. Il s’inquiétait que les dirigeants qui entraînent leur pays dans une guerre vouée à l’échec sont plus enclins à risquer le tout pour le tout qu’à négocier.
Les auteurs observent aussi des préférences incohérentes lorsque le même choix se présente sous différentes formes, ce qui explique les comportements économiques irrationnels comme la volonté de parcourir de longues distances en voiture pour acheter un produit bon marché en promotion, et le refus de le faire pour un produit cher bénéficiant du même rabais...
La psychologie peut éclairer l'économie larecherche
L'économie comportementale gagne ses lettres de noblesse : en 2002, le prix Nobel est venu couronner l'un de ses inspirateurs, le psychologue Daniel Kahneman. Ce courant ose ébranler l'un des piliers de la théorie dominante, en démontrant que les choix de l'Homo oeconomicus ne sont pas si rationnels qu'elle le prétend.
La recherche : Vous êtes titulaire d'un doctorat en psychologie de l'université de Californie. Qu'est-ce qui vous a attiré vers cette discipline ?
Daniel Kahneman : Le fait d'être né dans une famille juive, émigrée de Lituanie à Paris dans les années vingt, y est probablement pour quelque chose. Chez nous, comme dans beaucoup de foyers juifs, je crois, on ne s'intéressait pas du tout à la nature ; je n'ai jamais appris à reconnaître les plantes ni à aimer les animaux. La seule chose qui comptait vraiment, c'était les mots et les rapports humains. La façon dont ma mère parlait des gens me fascinait car ils m'apparaissaient toujours d'une infinie complexité. Je me rappelle très bien aujourd'hui une petite aventure qui m'a convaincu qu'elle avait parfaitement raison. J'avais environ 8 ans. Cela se passait à Paris, à la fin 1941 ou au début 1942. J'étais allé jouer chez un voisin catholique et l'heure du couvre-feu (18 heures) était dépassée. Ayant enfilé ma veste à l'envers pour dissimuler l'étoile jaune cousue à l'extérieur, j'ai commencé à marcher vers chez moi. Alors que je descendais une rue déserte, un soldat allemand portant l'uniforme SS arriva en face de moi sur le même trottoir. Je m'approchais de lui en essayant de marcher vite lorsque j'ai remarqué qu'il me regardait intensément. Il s'est penché vers moi, m'a soulevé en l'air et gardé un moment à sa hauteur. J'étais terrifié à l'idée qu'il puisse découvrir l'étoile jaune sur ma veste. Mais il s'est mis à me parler en allemand avec beaucoup d'émotion. Après m'avoir reposé à terre, il m'a montré la photo d'un petit garçon et m'a donné un peu d'argent. Je suis rentré à la maison plus sûr que jamais que ma mère disait vrai : les gens sont infiniment compliqués et intéressants. Je crois que j'ai choisi la psychologie pour cela, tenter d'analyser cette étrange complexité de l'être humain.
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