piyut
BIO 1 - 2
POETE
LITTERATURE
Fès la juive
Ville impériale au IXe siècle, Fès devient, à partir de 817, un nouveau centre culturel et cultuel de la communauté juive marocaine.
Sous la protection du Sultan, la tradition talmudique s’y développe et gagne un réel essor.
(920-990)
Né à Fès, Dounash ha-Lévi ibn Labrat
l’âge d’or de la culture juive séfarade.Etudiant du rabbi Saadia Gaon (882/892-942), dernier des Guéonim, Dunash est un poète et un grammairien reconnu. Premier à fait entrer le mètre arabe dans la poésie hébraïque – en cherchant l’alternance entre voyelles longues et voyelles courtes – il renouvelle considérablement la manière de chanter les louanges au Divin. En grammaire, il crée les groupes verbaux et établit une distinction entre les racines ternaires et les racines quaternaires.Son oeuvre grammaticale, toujours d’actualité, fait de lui l’un des plus grands grammairiens de son temps.akadem
« L’adoption de la métrique arabe dans la poésie religieuse… «
A l’égal des mythes fondateurs, c’est dans l’exil que se délite l’hébreu, le judéen, et que se forge la nouvelle identité juive. Regroupés en communautés, les fils de Moïse organisent leur existence en la ritualisant. La Synagogue, et le culte qui s’y déroule, sont au cœur de leur vie. De par son pouvoir émotionnel et fédérateur, la musique unit les hommes dans la prière… Rappelons qu’à ses débuts, l’office synagogal comportait principalement des prières de base comme le Shema, le Halel, la Tefilah (ou Amidah) et la récitation des psaumes. A cela s’ajoutait la lecture de la Torah les lundis, jeudis et samedis. Jusqu’à la destruction du Second Temple (70 après J.C.) différents rituels de prières coexistaient au sein du culte synagogal. C’est sous l’impulsion de Gamaliel II (milieu du 1er siècle de l’ère chrétienne - avant 132) que fut adopté un nouveau rituel unifié appelé Avodah shebalev (« culte du cœur ») qui se développa dans toutes les synagogues et fut appliqué sans grands changements jusqu’à la fin de l’époque talmudique.
C’est d’ailleurs en partie pour apporter un peu de variété à cet office quelque peu sclérosé que naquirent les piyutim vers le V° siècle de l’ère chrétienne. A l’origine, le piyut est une poésie religieuse destinée à remplacer les prières obligatoires, notamment lors des offices de shabbat et des fêtes. Cette évolution fut probablement liée à la restriction de la liberté d’enseignement et de prières sous Justinien 1er (décret de 553). Malgré de sévères critiques, notamment de la part des membres des grandes Académies de Babylone, la poésie religieuse, forte de son succès populaire, se répandit dans toutes les communautés juives. Et au fil des siècles, certains piyutim furent intégrés aux prières selon un choix propre à chaque communauté.
Sur le plan musical, la floraison de la poésie religieuse eut un impact considérable. La création de nouveaux textes entraîna le recours à une musique d’un genre nouveau. Dans un premier temps, les Piyutim furent chantés dans un style psalmodié ou dans un rythme libre déterminé par la place des accents dans la phrase. Mais le X° siècle, à l’instar de la poésie arabe, Dounash ben Labrat (c.920- c.980 ?) introduisit dans son œuvre la notion de mètre, soit l’existence d’un rapport de proportionnalité entre les différentes valeurs de durée. Cette innovation, loin d’être anodine, dénote l’influence de la civilisation arabe sur les communautés juives séfarades. Sur un plan linguistique, l’hébreu n’établit pas de différenciations entre syllabes longues et courtes. Lui appliquer un cadre métrique revenait à lui imposer une déclamation qui n’existe pas naturellement dans la langue hébraïque…ce qui n’empêcha pas l’initiative de Dounash ben Labrat de remporter un vif succès et d’être rapidement imitée par bon nombre de ses confrères.
L’adoption de la métrique arabe entraîna fréquemment le recours à une poésie de forme strophique. Chaque couplet était habituellement chanté sur une mélodie plus ou moins identique, l’assimilation du texte par le fidèle s’en trouvant ainsi grandement facilitée. La musique n’était ainsi plus un simple véhicule du texte, sans réelle existence . Bien au contraire, le texte devait se plier à une musique préétablie judaicultures
Le Piyut D'ror Yikra : L'acrostiche épelle "Dunash," du nom de l'auteur Dounash ben Labrat
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Le dialogue littéraire andalou :
modèle de dialogue interculturel
Aviva Doròn
Université de Haifa
(Israël)
L’une des manifestations les plus intéressantes des rencontres interculturelles qui ont eu lieu en al-Andalus est le dialogue littéraire qui s’y est instauré entre la littérature arabe et la
littérature hébraïque. Ces deux littératures très anciennes, qui se sont développées chacune de leur côté dans la langue de leurs textes sacrés respectifs, et qui ont donné, chacune à leur manière, des oeuvres de qualité, se sont croisées en Andalousie, en établissant entre elles un système complexe de contacts littéraires authentiques1.
Pour pouvoir comprendre le caractère d’une rencontre littéraire, il convient d’examiner, en règle générale, la littérature de la minorité culturelle, car les écrivains qui
appartiennent à cette minorité apprennent par nécessité la langue de l’autre culture — de la culture majoritaire — tandis que les écrivains de la majorité ne onnaissent pas d’ordinaire la langue de la minorité ni, par conséquent, ses créations littéraires. Si l’on veut étudier la rencontre littéraire arabo-juive en al-Andalus, il faut donc examiner la littérature hébraïque pour autant qu’elle reflète ce dialogue.
Les juifs qui vivaient en Andalousie étaient intégrés à la vie économique et culturelle de la société musulmane2 et ils connaissaient la littérature arabe sous ses divers aspects, tout en préservant néanmoins au cours des VIIIe et IXe siècles la tradition poétique née à Jérusalem et à Babylone — la tradition d’une poésie sacrée composée à des fins
liturgiques. Un changement significatif d’orientation de la poésie hébraïque eut lieu au Xe siècle, à Cordoue, lorsque Dunash ben-Labrat, un novateur hardi, qui se proposait de rivaliser avec les succès notables de la poésie arabe profane en écrivant des poèmes séculiers en hébreu selon les règles poétiques de la littérature arabe, vint se joindre au cercle des érudits juifs. Son intention suscita une opposition virulente du poète respecté Menahem ben-Saruq4, qui était venu de Tortosa à Cordoue, la capitale du califat, où il avait été accueilli par la famille Shaprut, dont les membres faisaient partie des proches d’Abd al-Rahman III. Ben-Saruq et ses disciples attaquèrent ben-Labrat qui voulait mouler la langue sacrée hébraïque dans des formes empruntées à une autre culture. Dans cette controverse, qui mit en évidence le contraste entre une attitude ouverte représentée par ben-Labrat et une attitude fermée illustrée par ben-Saruq ; ce fut l’ouverture culturelle qui triompha, en décidant ainsi de la lutte sur le caractère de la poésie hébraïque.
Les créations poétiques hébraïques allaient désormais refléter le dialogue littéraire avec la
littérature arabe.
Ce dialogue a commencé par une composition bachique de ben-Labrat lui-même, la première poésie hébraïque andalouse écrite selon les règles de la versification arabe :
« Et il dit : Ne dors pas/du vin vieilli tu boiras
Dans un jardin de grenadiers/de palmiers et de vignes …
Et nous boirons/dans des enclos plantés de lys
Et nous fuirons les soucis … »
On découvre déjà dans cette poésie, comme dans toutes celles qui ont été composées ultérieurement, une similitude de forme avec la poésie arabe : les vers ont la même métrique, des rimes communes et ils suivent le rythme de la cassideh. Si l’on se livre à un examen un peu plus approfondi, on identifie clairement des thèmes empruntés à la poésie arabe : quelqu’un invite un ami à boire avec lui, en l’exhortant à accepter ; cependant,
ces thèmes sont exprimés dans une poésie écrite en hébreu, dans une langue chargée d’allusions bibliques.
Ce dialogue culturel et littéraire, amorcé avec l’oeuvre de ben-Labrat, s’est poursuivi avec plus d’ampleur à Cordoue, dans la première moitié du IXe siècle, sous le règne brillant d’Abd al-Rahman III (912-961). Il s’est développé encore plus avec la
génération suivante, en se reflétant en particulier dans la poésie hébraïque de Samuel
ibn-Nagrella ha-Nagid (né à Cordoue en 992)5, le contemporain et le compatriote des deux poètes arabes connus : ibn-Shuhayed et ibn-Hazm, le premier né en 993 et le second en 994. Avec le temps, ibn-Nagrella devint vizir et chef de l’armée du roi de Grenade. A ce titre, il dirigea les troupes du royaume dans leurs guerres contre les taifas, les minuscules États voisins. Il décrit ses faits d’armes dans des poésies hébraïques, où les thèmes bibliques s’imbriquent aux thèmes épiques de la poésie classique arabe tels que la description des
ennemis en déroute dans la poésie arabe du désert — thème que l’on retrouve dans les exemples suivants extraits du poème Eloha Oz (vers 96-107) :
Dans la steppe nous les abandonnons aux hyènes,
aux chacals, aux léopards et aux sangliers.
Ces thèmes épiques coexistent avec les thèmes bibliques, tels que l’invocation au Tout-Puissant :
Agis envers eux comme tu le fis avec Sisera et conduis-toi avec moi
comme tu as agis avec Barak et Déborah,
ou tels que la description de l’intervention divine :
De ton souffle fais-les reculer, comme tu le fis le jour de la mer Rouge.
Examinons quelques exemples qui illustrent l’intégration des thèmes de la poésie arabe à des éléments bibliques et en premier lieu, un poème d’amour du célèbre poète espagnol d’expression hébraïque, Yéhouda ha-Levi, qui naquit à Tudela mais vint plus tard s’installer à Grenade où il fit ses études et écrivit un grand nombre de ses oeuvres.
« Ne t’éloigne pas, gazelle »
« Ne t’éloigne pas, gazelle, toi que j’ai tant aimée depuis toujours.
Tu es mon amour et tu fais mes délices, ta faveur me suffit ! Elle me suffit
Ce salut parfumé du cerf gracieux
Ne fut pas transmis par un messager
Et moi aussi, sur les ailes du vent
Je mêle mon secret à la myrrhe, j’écris mes amours à mon ami
Avec les gouttes de myrrhe qui perlent de mes mains ; ses joues témoignent pour moi »
« Mon bien-aimé me poursuit dans le palais
Où mon arôme trahit ma présence
Mais je le séduis et je le mets en déroute
Mon bien-aimé sent qu’il est ma proie, mon coeur au plus profond de moi-même
Est sa prison, entre mes atours et sous mes colliers.
Pour monter paître dans les jardins
Descends ! oh cerf, pour aller cueillir les lys ».
Ce poème offre clairement un exemple des points susmentionnés. Yéhouda ha-Levi combine ici des thèmes connus de la poésie arabe avec des thèmes et des versets
du Cantique des cantiques. Au vers 7, lorsque le poète dit : « … avec les gouttes qui perlent de mes mains … », il y a à l’évidence une réminiscence du Cantique des cantiques (5,5) : « Je me suis levée pour ouvrir à mon bien-aimé ; et de mes mains a dégoutté
la myrrhe ».
Aux vers 13-14, nous trouvons :
Pour monter paître dans les jardins, descends ! oh cerf,
pour aller cueillir les lys,
texte qui rappelle clairement le verset 6,2 du Cantique des cantiques :
Mon bien-aimé est descendu à son jardin, Au parterre d’aromates,
Pour faire paître son troupeau dans les jardins, Et pour cueillir des lys7.
Telles diverses strates littéraires, les allusions bibliques se fondent sur le sens
original du texte et l’enrichissent artistiquement. On peut citer par exemple celles qui
précisent et concrétisent les souffrances de l’amant, ou celles qui enrichissent la description
de la beauté de la bien-aimée.
Dans un autre poème de Yéhouda ha-Levi, nous trouvons :
Sur l’Alliance, mon bien-aimé, sur ta vie ! sur la vie de l’amour qui m’a lancé une flèche !
Je jure que suis esclave de l’amour qui m’a percé
L’oreille et qui a brisé mon coeur en deux ! (Yéhouda ha-Levi, Poèmes, p. 93).
Il y a ici une combinaison d’images arabes stylisées : l’amant-esclave, l’amant
blessé, à côté d’une allusion biblique à celui qui est esclave à vie :
… et son maître lui percera l’oreille avec un poinçon,
et l’esclave sera pour toujours à son service. (Exode, 21,6)8.
Dans un poème de Shlomo Ibn Gabirol, nous trouvons :
Loin d’elle, les délices du monde ne me rassasient pas.
Ah ! Si je pouvais m’enchaîner à sa droite9.
Au début, ces lignes s’inspirent d’un thème stylisé arabe : la démarche de la bienaimée,
et à la fin, on y trouve une allusion biblique évidente au Cantique des cantiques :
Que sa main gauche soit sous ma tête,
Et que sa droite m’embrasse ! (Cantique des cantiques, 8,3)
Mets-moi comme un sceau sur ton coeur,
Comme un sceau sur ton bras (Cantique des cantiques, 8,6).
Dans divers poèmes de Shlomo Ibn Gabirol, on trouve d’autres exemples où les
allusions au Cantique des cantiques se combinent à des images conventionnelles :
Toi qui resplendis de toute ta gloire, toi qui as tant de grâce
(Shlomo Ibn Gabirol, p. 432).
On peut établir un parallèle avec le verset suivant du Cantique des cantiques :
Que tu es belle, mon amie, que tu es belle ! Tes yeux sont des colombes
(Cantique des cantiques, 1,15).
Contemple celui qui se languit d’amour pour toi
(Shlomo Ibn Gabirol, p. 439)
… je suis malade d’amour
(Cantique des cantiques, 5,8).
Je me consume d’amour au point que ni les eaux de Soân ni les eaux
de Gosen ne pourraient éteindre ce feu » (Shlomo Ibn Gabirol, p. 439)
et dans le Cantique des cantiques :
Les grandes eaux ne peuvent éteindre l’amour,
Et les fleuves ne le submergeraient pas »
(Cantique des cantiques, 8,7).
Nous trouvons une interrelation intéressante entre certaines allusions qui font
écho au Cantique des cantiques et certaines influences du monde figuratif arabe dans le
poème suivant de Shlomo Ibn Gabirol que nous analyserons en détail (p. 427)10 :
« Ta sveltesse évoque un palmier
Et ta beauté, un soleil.
Je te croyais généreuse,
Mais j’ai découvert que tu m’assassines
Toi qui es aussi malfaisante que Jésabel.
Toi qui resplendis de toute ta gloire
Toi qui as tant de grâce
Contemple celui qui se languit
D’amour pour toi, son âme se dérobe à ton soleil
Et pour ne pas mourir, il échappe à ta présence ».
En allant de Séfarad à Jérusalem, Yéhouda ha-Levi s’arrêta en chemin en Égypte pendant un certain temps15. Il y composa quelques poèmes marqués du sceau de cette terre
qui était pour lui un lieu de passage.
Dans ces oeuvres poétiques, l’Égypte est conçue comme une sorte d’étape intermédiaire. On peut y reconnaître des thèmes qui étaient très courants dans le pays d’où il venait, de même que des expressions en rapport avec Sion vers où il dirigeait ses pas.
Les poètes arabes d’al-Andalus avaient coutume de développer un thème propre à la littérature arabe « les louanges du lieu » (al-fadã‘il) afin de rivaliser avec les centres culturels plus évolués de l’Orient qu’étaient Damas et Bagdad. Ils chantaient les beautés
d’al-Andalus en mettant en relief ses traits géographiques — salubrité de l’air, fertilité de la
terre, douceur des eaux — ainsi que les qualités des hommes qui faisaient sa gloire.
Yéhouda ha-Levi, qui connaissait bien la littérature andalouse, a chanté les louanges de l’Égypte en reprenant les thèmes caractéristiques du fadã’il (« les vertus du lieu »). Il introduit ainsi dans le poème où il décrit sa situation en Égypte, des passages qui fleurent son passé andalou, et parallèlement à ces thèmes andalous, on trouve dans ces
poèmes, comme nous l’avons déjà vu, des expressions qui sont en rapport avec le souvenir
et l’histoire du peuple juif. On y trouve également des louanges à Sion qui rappellent au poète le thème de son séjour en Égypte, et le fait qu’il s’agit uniquement d’une étape intermédiaire.
Le poème intitulé « Gloire à l’Égypte » est centré sur le thème de « l’al-fadã’il »
(« les louanges du lieu »)17. On peut y reconnaître les éloges des caractéristiques géographiques de ce pays, en tous points identiques à ceux qu’il avait adressés en l’honneur d’al-Andalus : éloges de ses eaux et de ses fleuves, éloges de tout le pays au point de le
comparer au jardin de l’Eden.
Des eaux de l’Eden procède son fleuve ;
La beauté de son pays est comparable à celle du jardin de l’Eden18 Le poète unit les mérites historiques aux qualités du lieu. L’Égypte mérite ces louanges car c’est là où le Dieu d’Israël a révélé sa toute-puissance au monde. Le souvenir des faits historiques est joint à la description du lieu :
C’est là où l’on a vu descendre la gloire divine et s’avancer Une colonne de feu, de nuée …19
L’examen de la poésie andalouse d’expression hébraïque révèle le phénomène d’une interpénétration littéraire : les poètes de langue hébraïque adoptent des éléments
artistiques de la littérature arabe, mais sans renoncer pour autant à leur propre tradition littéraire. Ils écrivent des poèmes en hébreu, en incorporant des thèmes juifs et des citations
bibliques à une trame fondée sur des structures et des thèmes de l’art poétique arabe. En d’autres termes, nous sommes en présence d’une poésie qui emprunte des éléments à une autre tradition poétique sans perdre sa propre culture.
Cette caractéristique particulière ne peut trouver son origine que dans des contacts interculturels approfondis ainsi que dans un dialogue intellectuel et littéraire sans inhibition. L’ouverture sur la culture de « l’autre », sans pour autant renoncer à sa propre culture, a caractérisé en général la situation qui prévalait en al-Andalus. Le dialogue intellectuel qui s’y est établi témoigne donc de l’existence de relations socioculturelles marquées par une écoute attentive au prochain, par une disposition à apprendre de
« l’autre », par un climat de tolérance vis-à-vis de ceux qui appartiennent à une culture
différente.
Sur le chemin d’al-Andalus : de l’étude et de la recherche aux valeurs Le dialogue culturel andalou — phénomène unique dans l’histoire de l’humanité —
permet de donner une réponse catégorique à tous ceux qui disent, à propos des « personnes
d’une autre culture » : « avec ces gens-là, il n’y a pas moyen de parler » ou bien, « on ne peut pas établir un pont entre eux et nous ». Le dialogue culturel qui a eu lieu en al-Andalus démontre en effet qu’une rencontre pluriculturelle est possible à condition d’adopter une position d’ouverture culturelle. Al-Andalus peut devenir un modèle qui sert
à acquérir un esprit d’ouverture et à apprendre la tolérance.
Il convient donc de se demander quelle serait la meilleure manière d’utiliser le modèle andalou. La réponse serait la suivante : (a) connaissance de ce modèle, (b) expérience personnelle, (c) contact réel avec l’essence de ce phénomène.
A. La diffusion du modèle andalou a donc, à cette fin, une importance capitale.
Il est indispensable de le porter à la connaissance du grand public. Il faut mettre en relief ce chapitre de l’histoire dans toutes les disciplines enseignées dans les écoles et les universités, notamment dans la littérature, l’histoire, la philosophie et les beaux-arts.
B. L’expérience personnelle joue d’autre part un rôle des plus efficaces. Il convient de distinguer en l’occurrence deux voies à suivre : l’une consiste à acquérir cette expérience
en visitant les lieux où ce dialogue a connu un essor florissant. Elle est proche de la voie de la connaissance. Elle appartient au monde tangible, au monde visible ; elle implique un
contact avec les lieux où les faits en question se sont déroulés.
C. L’autre voie doit déboucher sur un contact réel avec l’essence du phénomène, avec la nature du dialogue pluriculturel qui a existé en al-Andalus. Cette voie est celle du contact personnel, d’une expérience vécue dans le « tunnel du temps », à travers une sorte de « visite intellectuelle et culturelle » dans l’Andalousie médiévale. Une bonne manière d’y
parvenir serait d’organiser un jeu de rôles (« role-play »), où chaque participant remplirait
le rôle d’un habitant déterminé d’al-Andalus et « rencontrerait » d’autres Andalous :
musulmans et juifs, poètes et philosophes de diverses tendances, étudiants en sciences, etc.22.
Quand une société civilisée est divisée par des conflits internes ou quand une tension règne entre différents peuples ou sociétés, il est généralement difficile d’inculquer aux jeunes les concepts d’ouverture, de tolérance et de dialogue culturel. L’expérience dans le « tunnel du temps » apporte à ceux qui y participent une dimension d’éloignement psychologique, de sorte que la distanciation vis-à-vis des événements réels permet aux
participants de se montrer plus ouverts au prochain.
Une expérience de ce type permet à ceux qui appartiennent au moment présent à des peuples différents de prendre de la distance vis-à-vis « d’ici » et de « aintenant » — en se rapprochant de l’expérience vécue d’un dialogue culturel qu’ils pourront ensuite traduire
dans la réalité où ils sont immergés.
unesdoc
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