RABBI REGINA JONAS
PREMIERE
RABBI
PORTRAIT
REGINA
C. BOULOUQUE
«Aux premiers jours de mon premier amour, j'ai été reconnaissante au monde de m'offrir son ciel clair et surtout les hasards d'un passage sur cette terre - je me répétais que nous vivions, lui et moi, à la même époque, inscrivions les mêmes jours sur nos agendas et que nous aurions pu naître trop tard ou trop tôt, et nous manquer. Aujourd'hui, une autre simultanéité de vies est venue m'horrifier. Regina et mes grands-parents ont vécu en même temps et rien ne leur était commun.»
Qui se souvient de Regina Jonas ? Ordonnée à Berlin en 1935, elle a été la première femme rabbin au monde. Affrontant l'hostilité de ceux qui refusent la religion au féminin, consciente d'être en sursis dans l'Allemagne nazie, Regina n'a écouté que son «souci des âmes». Elle est tuée à Auschwitz en 1944. Pressentie pour l'incarner à l'écran, Elise part sur ses traces. L'actrice croit ainsi solder une culpabilité : ses grands-parents, négociants en Champagne sous l'Occupation, ont sacrifié aux compromissions d'alors. Avec ce rôle, Elise saisit le passé. Et devine qu'il n'est peut-être plus temps d'expier mais de se tourner vers la mémoire de ceux qui ont su être justes - pour, avec eux, cheminer.
Les courts extraits de livres : 09/09/2007
«Que ton destin ne soit jamais plus grand que ton propre coeur.»
Gertrud Kolmar,
Lettre à sa soeur, 15 décembre 1942.
À l'enterrement de son père, il n'y avait pas de rabbin.
Regina Jonas naît à Berlin, le 3 août 1902, dans une famille pieuse et pauvre, de parents auxquels, deux ans auparavant, est venu un fils, Abraham.
Wolf Jonas est un petit commerçant aux activités imprécises et aux succès incertains. Né en Poméranie en 1843, il est de trente-trois ans l'aîné de son épouse, Sara Hess, jeune fille de Bavière.
Leur rencontre a peut-être été arrangée par un marieur, on ignore quels étaient leurs amis, leurs proches, leur vie, et même si leur famille était alors auprès d'eux - il n'en est jamais fait mention dans l'histoire de Regina ; de la vie des parents Jonas, on ne sait que la topographie. Comme tant d'autres sans racines berlinoises et aux attaches incertaines, le couple s'installe à l'est de la ville, dans le Scheunenviertel, le quartier des Granges, où affluent, attirées par la métropole, les communautés pauvres d'Europe orientale ; ces Ostjuden portent, sous leurs loques ou leurs caftans, le respect et la mémoire des traditions que certains Juifs allemands avaient cru pouvoir oublier.
Regina a onze ans lorsqu'une tuberculose lui enlève son père, en novembre 1913. La communauté juive soulage la famille endeuillée de la charge de funérailles qu'elle n'aurait pu assumer seule, la cérémonie n'est toutefois qu'un enterrement de troisième classe, sans même la présence d'un officiant. Avant de parvenir à la sépulture dans un pauvre carré au fond du cimetière de Weissensee, à l'est du Scheunenviertel, il faut traverser les allées de disparus mieux nantis. Regina connaît-elle déjà ces mots du Talmud de Babylone : «Soyez attentifs aux enfants des pauvres, parce que c'est d'eux que vient la Torah» ? Quelles ont été ses pensées, le long des travées ? S'est-elle déjà convaincue qu'elle deviendrait le rabbin qui manquait ce jour-là ? Ce jour là est-elle devenue son destin ?
Elle n'avait rien à faire valoir, rien d'autre pour prétendre devenir la première femme rabbin au monde. La foi vient de ceux qui ne peuvent, apparemment, en faire étalage ou éloquence : Moïse était bègue et c'est lui qui a délivré les Dix Commandements, ou les Dix Paroles comme le disent les Juifs.lechoixdeslibraires
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1 commentaire:
interview C Boulouque
Aller-retour. Hier, aujourd’hui. Berlin, la Champagne. Décors multiples pour Nuit ouverte, le troisième (excellent) roman de Clémence Boulouque, jeune auteure parisienne en course pour un prix littéraire de cet automne. En près de 260 pages, un texte serré, alerte, rythmé pour trois personnages : Regina Jonas, Elise Lermont, Esther Dandler. La première femme ordonnée rabbin en 1935 à Berlin, une comédienne, un écrivain… Avec une plume élégante, Clémence Boulouque conte l’épopée extra-ordinaire de Regina Jonas toute dévouée aux autres- une femme qui a toujours su être en sursis dans l’Allemagne des années 1930-40 et qui était habitée par le « souci des âmes ». Elle sera tuée à Auschwitz en 1944. Ce destin doit être porté à l’écran, c’est la comédienne Elise Lermont qui est approchée pour le rôle- elle découvre que, négociants en Champagne sous l’Occupation, ses grands-parents n’on pas dit non aux compromissions. Une question hante alors Elise : faut-il expier ou plutôt suivre ceux qui prônent le bien ?
Comment avez-vous retrouvé la trace de Regina Jonas ?
De la façon la plus simple. J’ai une passion : l’étude des religions. Et je m’intéresse tout spécialement à la place des femmes dans les religions. J’ai essayé de comprendre le phénomène du rejet de Regina Jonas. Quel est le destin de cette femme, la première ordonnée rabbin à Berlin en 1935 ? Quel est ce personnage qui a fait témoignage de foi et de dévouement ? La sainteté n’existe pas dans le judaïsme, mais n’importe quelle autre religion, Regina Jonas aurait été sanctifiée.
Dans Nuit ouverte, concernant Regina Jonas, certains vous ont reproché de ne pas avoir romancé sa vie…
Mais je ne voulais surtout pas romancer la vie de Regina Jonas. Si je l’avais fait, j’aurais eu l’impression d’être irrespectueuse de sa vie, de son destin. Toute proportion gardée, pour Nuit ouverte, je me sens assez proche de Patrick Modiano quand il a écrit Dora Bruder. Il a dit et répété qu’il avait écrit là une enquête…
Justement, comment avez-vous travaillé pour reconstituer la vie de Regina Jonas ?
Elle est évoquée dans un livre en allemand. Ça m’est servi de base. Puis je suis allée sur ses traces à Berlin. Il reste très peu de choses mais j’ai essayé de faire revivre son environnement. Regina Jonas a été ordonnée avec cette sorte d’obstination. Faire advenir son destin parce que son destin, c’était aider les autres… Oui, Regina Jonas était au monde pour être aux autres- c’est ça, l’essence de la religion. Et dans son histoire, ce qui m’a bouleversée, c’est sa solitude. Assumée à certains moments, rejetée par une partie de l’établissement orthodoxe.
La vie de Regina Jonas paraît toute entière placée sous le signe de l’abnégation…
L’abnégation pour cette conviction : les êtres méritent davantage que ce qu’on a à souffrir. Pour Regina Jonas, ignorer les blessures, c’est la justesse. La justice. Elle ne s’est incarnée dans rien, à part cette volonté d’être près des passants. Voilà pourquoi Regina Jonas n’est récupérable par personne, sauf ceux qui souffrent ! Ce qui m’interroge chez Regina Jonas, c’est la figure de la bonté. Comment la bonté peut-elle vous aider à dépasser le quotidien et éclairer les générations qui suivent… J’aime beaucoup une phrase d’André Schwartz-Bart : « On perçoit la lumière d’astres déjà morts ».
Avec Regina Jonas, donc, c’est le bien. A l’opposé, avec les grands-parents de la comédienne Elise Lermont, c’est le mal…
Je dirai plutôt que ce sont des sympathisants incapables de bonté. Des personnes qui, quelle que soit la situation, ne regardent qu’elles. Et quand on ne regarde que soi, c’est assez peu constructif pour le reste du monde tel qu’il va. Surtout quand ce monde défaille… A travers la famille d’Elise, je voulais une vitrine de la France- le champagne, le luxe. Je n’ai pas cherché à présenter un tableau à charges.
L’an passé, il y avait Les Bienveillantes de Jonathan Littell. En cette rentrée, il y a Nuit ouverte et aussi Les Disparus de Daniel Mendelsohn. Le nazisme, les camps de concentration, c’est un thème à la mode ?
La concomitance de ces parutions tient du plus pur hasard. Evidemment, dans ce gouffre de l’âme qu’ont été le 3ème Reich et la Shoah, il y a une interrogation métaphysique… Alors, que fait-on ? On écrit comme Norman Mailer qui, dans Un château en forêt, on raconte l'enfance de Hitler à travers les yeux d'un SS ? Ou Frère Hitler avec Thomas Mann ? Le fait qu’on soit sommé de s’interroger normalement est une façon d’affronter le mal absolu. L’Histoire peut contextualiser, la littérature peut permettre un retour sur l’interrogation sur le Bien et le Mal.
En fin de Nuit ouverte, intervient Esther, l’écrivain dont le texte sur Regina Jonas va servir de base pour l’adaptation ciné…
Elle s’interroge sur le fait d’écrire alors qu’il est trop tard. Et c’est peut-être le moteur de mon écriture, aussi… Qu’est-ce qu’on peut faire contre le Mal ? Comment peut-on réparer ce qui a été brisé ? Peut-être ne peut-on pas réparer mais il faut essayer. Il y a quelque chose d’infinitésimal dans cette tentative, dans cette urgence…
Elise dit : « Se retourner sur un être juste fait de vous juste un être »…
… et elle poursuit : « Juste un être fragile, digne de tristesse, qui ne vaincra jamais sa peur du noir, qui s’écorche en aimant (…) qui est capable de faire du bien quand cela ne lui rapporte rien. La paume d’une main sur un front brûlant, voilà ce qu’offrent ces justes. Ils ne guérissent rien, mais soulagent du monde en braises ». C’est bien ce qui me tient debout. Parce qu’avant d’être un être juste, il faut être d’abord un être…
Vous dites justice, justesse, bien… Vous ne vous sentez-vous pas en décalage dans le monde contemporain matérialiste et individualiste ?
Je préfère être en décalage qu’à l’unisson d’un monde qui ne me rapporte pas grand-chose. Aujourd’hui, les gens savent globalement ce qui est répréhensible. Simplement, ils savent. Voilà ce qu’est le cynisme. Regarder le monde en face et ne rien faire…
Serge Bressan
sblivres
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