MIHAIL SEBASTIAN
PORTRAIT
JOURNAL
OEUVRE
L'ACCIDENT
"Je n'ai jamais été aussi vieux, aussi terne, aussi dépourvu d'élan, de jeunesse . Je ne vois plus rien devant moi, toutes les portes sont fermées, tout est inutile, et le suicide semble être la seule solution..."
Mihail Sebastian est né en 1907 à Braila, port danubien de Roumanie. Après avoir erminé le lycée local, il fit des études de Droit, mais fut vite attiré par la vie littéraire intense d'une Roumanie dont les frontières avaient été poussées très loin, avec le doublement de sa population juive, et où les pensées généreuses de la Révolution de 1848 subissaient les influences de Gobineau, Spengler,T.S. Eliot et Ezra Pound, exprimées par le philosophe Nae Ionescu, qui influença beaucoup des amis de Sebastian, dont Emil Cioran et Mircea Eliade.
Sebastian gravita à ses débuts dans ce cercle, dont il prit rapidement des distances, tout en conservant des liens d'amitié qui lui furent reprochés. Mais en Roumanie d'avant-guerre, seuls les nervis fascistes sortaient leurs couteaux dans la rue; les intellectuels laissaient les leurs au vestiaire Il débuta dans le journal de Nae Ionescu, CUVINTUL, puis écrivit, en 1933, un roman-journal intitulé DEPUIS 2000 ANS, avec une préface très antisémite de son maître, dont les positions de droite avaient encore évolué pendant la rédaction du livre (v. LES JUIFS DE ROUMANIE, Los Muestros, p.16, n°23, Juin 1996). Dépité, Sebastian écrivit une suite: COMMENT JE SUIS DEVENU HOULIGAN, puis se tourna vers des oeuvres plus littéraires, comme LA VILLE AUX ACACIAS, et des pièces à succès comme JOUONS AUX VACANCES.
Son activité d'avocat fut arrêtée par l'expulsion des Juifs du Barreau, en 1940, après l'avènement du fascisme en Roumanie. Il vivota durant la guerre avec des situations aléatoires, mais il écrivit deux autres pièces, DERNIERE HEURE et L'ETOILE SANS NOM, et un roman, L'ACCIDENT. La plupart de ses amis roumains conservèrent leurs relations avec lui, l'aidant même matériellement, comme Rosetti qui lui versait un salaire, Sica Alexandrescu, qui monta l'ETOILE, ou Birlic qui lui paya des traductions, mais après la Libération par l'Armée rouge, certains furent mis sur la défensive par la montée des Juifs roumains dans les postes de direction de l'appareil politique communiste. Et Sebastian se trouva écartelé entre des amis qui l'évitaient (mais pas aussi "rhinocérisés" qu'on l'a affirmé par la suite) et ses coreligionnaires qui lui reprochaient ses amitiés, à défaut de pouvoir le récupérer. Il refusa des promotions et se préparait à reprendre une carrière d'enseignant (je l'ai eu comme professeur de français au lycée juif de Bucarest et je me souviens d'un magnifique exposé devant une classe peu attentive, sur le romantisme français en général et sur le roman épistolaire OBERMAN, d'Etienne Pivert de Senancour) lorsque la mort le cueillit, le 29 mai 1945.
C'est un camion soviétique qui mit fin à une vie difficile et à une carrière d'écrivain très prometteuse. H. Carasso
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2 commentaires:
Mihail SEBASTIAN
L’accident
Traduit par Alain PARUIT
éd. mercure de france, 2002, 304 p. 21,50 euros.
Un roman de la féminité désespéré et désespérante
Je le tiens pour le plus beau roman d’amour. Oh, bien sûr, il y eut des Tristan et Yseult plus magiques ; des Roméo et Juliette plus tendres ; des Werther plus tranchants. Il y a pourtant dans l’Accident de Mihail Sebastian (dont Alain Paruit nous offre une belle version française) quelque chose de plus touchant, de plus intime, un je ne sais quoi que je ne retrouve nulle part ailleurs.
Somme toute, c’est quoi cette histoire ? Paul, avocat, rencontre Nora, enseignante, au moment où il est encore malade de son amour pour Ann, peintre. Nora s’emploie de son mieux à guérir l’homme qu’elle se met à aimer. Elle l’emmène dans des aventures de neige à la montagne, lui fait rencontrer des personnages sortis, dirait-on, des sagas allemandes, et réussit même, à la fin du livre, à éviter de justesse une rechute (ce qui n’est pas certain, d’ailleurs). Si l’on s’en tient à ce récit nous risquons de tomber dans le piège qui faisait croire, autrefois, à Tolstoï que Anna Karenine n’était qu’un personnage secondaire, mettant tous ses espoirs littéraires dans le couple Kitty-Levine. Les bonnes causes de Nora nous jouant le vaudeville de l’amour tranquille et casanier, risquent de dissimuler cette quête d’une autre vie, impossible, qui se laisse deviner derrière les apparitions fulgurantes de Ann. Celle-ci est la féminité dans son expression la plus désespérée, et forcément désespérante. Elle est le personnage tragique (oui, je dis bien tragique !) qui sent obscurément que choisir une vie, c’est renoncer à toutes les autres, invraisemblables peut-être mais théoriquement possibles. L’homme qui la suit et voudrait arrêter cette quête n’a aucune chance d’en sortir indemne. Empoisonné pour le reste de ses jours, il sait désormais, il à découvert, grâce à la versatilité d’une femme, que chaque moment que nous vivons est la mort d’un autre, d’une infinité d’autres qui sont dorénavant perdus à jamais. Paul n’est pas la victime d’une amante volage (et soucieuse, par ailleurs, de sa carrière dans les milieux artistiques du Bucarest d’avant-guerre), mais d’un cataclysme sentimental : nous aimons ceux qui fréquentent un monde interdit où nous espérons pénétrer grâce à eux ; lorsque celui-ci est creux, la nostalgie amoureuse devient une confrontation non avec les incompétences affectives d’une femme (ou d’un homme, peut-être) mais avec notre incapacité de solidifier les choses, de les empêcher de moisir, de dépérir, de s’évanouir. Le Paul de Mihail Sebastian est un navigateur cosmique, aspiré par un vide infini. Cette Ann qu’il aime est le gant de chair (et de cheveux blonds en désordre) d’où la main du destin s’est retirée.
Le goût si particulier de ce roman où nous prenons fait et cause pour celle qui fuit, au détriment de Nora, la femme du foyer, vient de cette alchimie amoureuse qui veut qu’il n’y ait de vrai paradis que perdu.
Journal (1935-1944)
Mihail Sebastian
Préface : Edgar Reichmann
Traducteur : Alain Paruit
Genre : Biographies, mémoires, correspondances...
editeur : Stock, Paris, France
Collection : La cosmopolite
La présentation de l'éditeur
«Ce Journal extraordinaire, si personnel, qui décrit jour après jour "l'usine de l'antisémitisme" qu'était la Roumanie des années 1930 et 1940, mérite de figurer aux côtés de celui d'Anne Frank dans toute bonne bibliothèque, et de connaître un succès aussi important.»
Philip Roth
Dans ce document historique, Mihail Sébastian dresse un constat lucide et désespéré sur l'engagement à l'extrême droite de la majorité de l'intelligentsia de son pays pendant l'entre-deux-guerres. Couvrant les années 1935 à 1944, on y retrouve la quasi totalité des grandes figures, dont Cioran et Mircea Eliade, frayant gaiement avec la Garde de fer, sous la houlette de Nae Ionescu devenu à partir de 1934 le maître à penser officiel de ce mouvement fasciste. Mihail Sébastian en fera lui-même les frais puisqu'il sera emprisonné dans les camps.
Si ce journal éclaire une partie occultée de l'histoire de la Roumanie, il renvoie plus largement à la relation trouble que nombre de pays européens entretenaient avec le nazisme. Il décrit avec acuité la tragédie de l'Holocauste : si Primo Levi ou Imre Kertész ont immortalisé l'enfer du camp, le purgatoire de Sébastian, c'est sa chambre car il y vit cloîtré, sous la menace quotidienne d'une arrestation. Seuls la musique, les lectures, l'amour lui permettent de surmonter l'angoisse et son journal s'en nourrit passionnément.
Né en 1907, Mihail Sébastian est un des plus grands écrivains roumains du siècle. Romancier, dramaturge, essayiste et journaliste, il a laissé une oeuvre qui connaît de nouveau un grand succès dans l'Europe entière. Il est mort en 1945, le 29 mai, renversé accidentellement par un camion soviétique.
Les premières lignes
Extrait de la préface de Edgar Reichmann :
L'actualité d'un irrécupérable : Mihail Sébastian
Iosif Hechter ou Mihail Sébastian ? «Il y a dans la sensibilité roumaine une région morale où je me sens chez moi, la Valachie (...). Je ne cesserai, bien sûr, jamais d'être juif. Ce n'est pas une fonction dont on puisse démissionner. On l'est ou on ne l'est pas. Je n'en suis ni fier ni gêné». C'est en ces mots qu'au début des années trente, l'écrivain losif Hechter, Mihail Sébastian de son nom de plume, débutait son roman autobiographique, Depuis deux mille ans. Bordée par le Danube, Valachie était une ancienne principauté tour à tour vassale de Moscou et de la Sublime Porte avant de s'unir, au milieu du XIXe siècle, avec la Moldavie pour donner naissance à la Roumanie moderne. Quelques décennies plus tard, Sébastian écrivait : «l'Etat est libre de me décréter paquebot, ours blanc ou appareil de photo, je n'en continuerai pas moins d'être juif, roumain et danubien.» À cette époque, lorsque le péril nazi se précisait en Europe, les murs des universités roumaines renvoyaient les échos des vociférations antisémites. Dans les amphithéâtres des professeurs «respectables» parmi lesquels le célèbre antisémite Nae lonescu (un Institut culturel outre Atlantique porte toujours son nom) glosaient sur les valeurs du sol et du sang. Et signalaient la «peste juive.» Comment rester juif et roumain à la fois ?
Peu nombreux sont ceux qui, en Occident ou en Roumanie, posent un regard lucide sur la situation des premières décennies du siècle dernier dans les pays nés de l'effondrement des empires austro-hongrois et russe, ni dans ceux dont le territoire s'était consécutivement agrandi. Hélas, des travaux nuancés et approfondis, tels ceux des historiens Carol Iancu, Zigou Ornea, de la critique littéraire Magda Petreu et de Léon Volovici demeurent méconnus en France. C'est grâce à ce dernier, universitaire israélien, et au cercle d'intellectuels roumains ses amis, parmi lesquels l'éditrice Cabriela Omàt, que le Journal (1935-1944) de Mihail Sébastian a pu enfin être publié à Bucarest en 1996, puis, deux ans plus tard en France grâce à l'appui de l'éditeur Pierre Belfond, ami des éditions Stock. Il s'agit là d'un document exceptionnel qui sollicite de multiples lectures, politique et littéraire, historique et identitaire. L'évacuation, partiale et partielle, de «l'entre-deux-guerres» par une historiographie roumaine hagiographique, explique en partie l'audience considérable de ce livre posthume de Mihail Sébastian (1907-1945) auprès d'un public roumain désinformé qu'épuisent les incertitudes d'un après communisme morose, lequel semble se pérenniser, même après l'entrée de la Roumanie dans l'Union Européenne. Ces eaux marécageuses favorisent particulièrement les intrigues de Palais, aussi bien que la recrudescence de la haine visant «l'Autre».
Abusés par le mythe d'un petit pays serein peuplé de lettrés «au-dessus de tout soupçon», mais toujours «victimes», les Roumains, fils et petits-fils des contemporains de Mihail Sébastian, dans les années trente, interrogent maintenant leur passé pour mieux comprendre ce qui leur arrive. Ils y découvrent des vérités bien différentes de celles proposées par des laudateurs davantage soucieux de l'image de marque de leur patrie que de la réalité. Les lecteurs de ces mémoires se retrouvent ainsi devant une Histoire ni blanche ni noire, plutôt blafarde, celle d'une Roumanie entre chien et loup. Ce paysage souvent consternant, parfois contrasté, toujours ambigu, conduit à une prise de conscience inconfortable, douloureuse mais décidemment salutaire. Si le Journal foisonne de réflexions critiques relatives à la littérature, à la musique et aux arts roumains et européens, s'il dévoile les aléas amoureux de l'auteur et commente le déroulement de la guerre et les humiliations assortis de pogroms subis par les populations juives, il s'impose surtout comme le constat lucide et désespéré de l'engagement à l'extrême droite antisémite d'une bonne partie de la brillante intellectualité roumaine. Lors de la parution du livre à Bucarest et de sa publication en France, les voix roumaines qui minimisaient l'importance de la confession de l'écrivain n'ont pas manqué, qu'elles soient présentes sur le sol national ou venues de l'étranger. Elles invoquaient son caractère «passionnel» et «exagéré» pour déboucher même sur une polémique stérile qui aboutissait au rapprochement impropre, surenchère macabre, entre l'extermination du judaïsme européen par les nazis et les horreurs perpétrées pendant les décennies communistes en Roumanie et ailleurs. Étalées dans les plus sérieuses revues de Bucarest et les publications roumaines à l'étranger, ces prises de position sonnent d'autant plus faux qu'elles occultent le véritable débat.
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